Corentin espérait dormir une heure de plus que d'habitude. Les deux derniers jours avaient été éprouvants et pour cause, l'anxiété et la rage provoquées par l'enquête l'amenaient à ruminer des nuits entières pour démêler cette histoire de possession. Victime d'une énième nuit blanche, il s'apprêtait à se rendormir lorsque la bonne ouvrit timidement la porte. Il grogna, dérangé dans son demi sommeil.
— Qu'y-a t'-il, je vous sonnerai dans une heure.
— Monsieur, il faut que vous vous rendiez au domicile de Monsieur et Madame Saint-Orge. Mademoiselle a encore fait une crise.
*
Corentin privilégia la marche au fiacre pour se réveiller. Il boutonna le haut de son manteau et se dépêcha d'arriver chez les Saint Orge. La pluie ne s'arrêterait donc jamais. Des flaques de boue bloquaient les roues des charrues, rendant irascibles les paysans déjà victimes d'une journée qui s'annonçait mal. Corentin frappa à la porte. Il tomba sur le majordome qui lui indiqua que Marie-Lise dormait. Il serait donc reçu par le médecin de famille qui l'attendait dans le boudoir de Madame. Corentin atteignit la petite pièce.
—Docteur Consard si je ne m'abuse ?
L'homme d'une quarantaine d'années leva le nez de ses papiers et se leva lourdement pour saluer l'inspecteur. Vraisemblablement bon vivant, le docteur Consard portait une longue blouse blanche aux boutons qui tentaient de résister à sa bedaine. Corentin admira particulièrement l'épaisse moustache brun foncé, le visage fraîchement rasé et l'allure professionnelle. Les domestiques connaissaient sans aucun doute le penchant gourmand du médecin, puisque la petite table basse regorgeait de petits gâteaux et d'une tasse de thé à moitié pleine. Après un rapide échange de banalités, le docteur exposa ses conclusions.
—Je viens d'administrer un calmant à Marie-Lise, elle dort. Mais avant qu'elle ne s'endorme, elle souhaitait avoir sa poupée avec elle et je ne l'ai pas empêché de le faire. Néanmoins, sa mère est revenue me chercher quelques instants après en me disant qu'elle se sentait mal. Elle était en plein délire et lorsque j'ai réussi à la réveiller elle était incapable de me résumer son cauchemar.
Ebahi par les constatations, Corentin rumina. On venait de le faire venir pour enquêter sur un rêve surnaturel dont la jeune femme ne se souvenait pas ? Les conséquences des nuits blanches se firent sentir, le jeune homme ressentit l'envie irrésistible de se recoucher.
—Si je comprends bien, votre patiente n'est pas en mesure de répondre à vos questions et vous me faites venir pour des bobards ?
—C'est Madame Saint Orge qui a ordonné que l'on vous appelle. Elle soupçonnait ce cauchemar d'être utile à l'affaire.
L'inspecteur éclata d'un rire nerveux.
—Je ne suis pas venu ici pour rien, je veux l'interroger sur-le-champ.
—Je comprends votre frustration mais...
-Ecoutez docteur, je respecte parfaitement vos recommandations mais vous rendez-vous compte que vous venez de me faire déplacer pour me dire des âneries ? Vous êtes tenu de m'avertir lorsqu'elle se réveillera !
Corentin de Calésie tourna les talons et dévala les escaliers d'un pas lourd et arrogant. En dix ans de carrière, il n'avait jamais vu une telle incompétence de la part d'un médecin de famille. Alors qu'il descendait la dernière marche de l'escalier, il vit une inconnue réconforter Madame Saint Orge. Son sang ne fit qu'un tour. Depuis quand cette jeune femme inconnue de l'affaire écoutait-elle la discussion entre lui et le médecin de famille ?
—Puis-je vous demander ce que vous faites ici ?
L'inconnue leva la tête sans se presser. Brune, les cheveux courts – assez rares pour l'époque – et habillée d'une robe bon marché, la jeune femme se leva et lui répondit calmement :

VOUS LISEZ
Le sang du bonheur
Misteri / ThrillerBleunoie. Un village anciennement célèbre pour son magnifique ciel bleu roi devient le théâtre de meurtres macabres. Le bras droit de Satan lui-même rôderait dans les rues, épierait les jeunes femmes et les assassinerait de manière effroyable. L'arr...