Chapitre 5

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Réveillé aux aurores, Corentin de Calésie ne put se rendormir. La nuit s'était résumé à de longues réflexions sur les potentiels coupables, la raison pour laquelle il ou elle avait « possédé » Marie-Lise Saint Orge. Il refusait de croire qu'une sorcière à moitié fêlée avait, en pleine nuit, put importuner sa victime et surtout savoir quand est-ce qu'elle sortirait du salon de Madame Correy. A six heures du matin, l'inspecteur avait réussi à sommeiller quelques minutes puis impatient de reprendre le travail, il s'était arraché à son lit douillet.

Bien habillé et fin prêt, il eut la désagréable surprise de voir sa femme déjà attablée devant une montagne de tartines beurrées. Droit et impassible, le majordome tenait en équilibre une pile de tartines dégoulinantes de confiture, bien entendu réservée à la maîtresse des lieux.

-Votre intervention dans le salon d'Annabelle n'a pas vraiment plu.

-Je vous demande pardon ?

Irrité, Corentin s'assit soigneusement à la table et demanda une tasse de thé. Il lissa sa moustache et croisa les mains sur la table, mimique qu'il effectuait lorsqu'il était contrarié.

-Je n'ai pas d'ordres à recevoir d'une bonne femme, est-ce bien clair ?

-Oh, pensez ce que vous voulez ! s'exclama Françoise. Votre réputation vous intéresse bien plus que moi ! Vous ne vous laisserez pas avoir par des racontars mais je vous avertis mon ami que vous êtes pâle figure aux yeux des habitants.

-Je n'ai pas besoin de...

-Oh si vous en avez besoin ! D'une seconde conseillère pour vous épauler ! Qui serait vos yeux, vos oreilles et qui se faufilerait dans les endroits les plus fréquentés de Bleunoie ! A cause de cette pauvre Marie-Lise Saint Orge, on croit que les poupées de Madame Correy sont possédées...Elle veut organiser quelques séances pour les empêcher d'envahir nos âmes.

-Quelle charmante idée...

-Vous n'y croyez pas hein ? Les âmes après la mort s'élèvent pour hanter les vivants et les punir de leurs actes. Et ce soir nous organiserons un grand bûcher avec la bénédiction du curé. Nous y serons à vingt heures tapantes derrière le cimetière de l'église...

D'un air dramatique, les yeux levés vers le ciel, Françoise ressemblait à une pauvre sœur éplorée suppliant le Seigneur de lui pardonner ses fautes. Corentin but insidieusement une gorgée de thé et déposa la tasse. Il attendit patiemment que sa femme daigne s'exprimer. Elle ne reprit finalement pas la parole, reposa ses lourdes mains sur le bord de la table. L'inspecteur en profita pour s'échapper.

-Tâchez de tenir votre langue lorsque vous parlerez à quelqu'un. L'enquête est toujours en cours.

La jeune domestique accourut vers son maître et essoufflée, lui transmit qu'on l'appelait en urgence. Par prudence et pour ne pas affoler Madame, elle ne prononça qu'à demi-mots le mot « scène de crime ». Corentin hocha la tête, enfila son pardessus et quitta les lieux en vitesse.

*

Il n'y avait jamais eu autant de foule sur la place de Bleunoie. Le petit village d'une centaine d'habitants semblait en contenir au moins le double. Hommes, femmes, vieillards, enfants parlaient dans un brouhaha insupportable, tous accrochés à une modeste ficelle qui pendouillait devant eux. Elle avait été accrochée précipitamment et elle ne manquerait pas de crouler sous le poids de la marée humaine.

Voyant cette scène irréaliste, Corentin de Calésie rentra dans une colère noire. Il bouscula la populace en donnant de grands coups de coude, leva la voix et se faufila tant bien que mal sous la ficelle qui servait de délimitation à la scène de crime. Il faillit s'évanouir en voyant le monde qui se rassemblait autour du cadavre. Entourée d'un groupe d'hommes que Corentin ne connaissait ni d'Adam ni d'Eve, Hermione Savrodec leva la tête.

Le sang du bonheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant