Chapitre 14

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À quelques kilomètres de l'inquiétant village de Bleunoie, régnait un petit coin de paradis, celui d'Apolline de Sauvecan. Cette vieille dame de cinquante-trois ans, encore bien conservée à un âge où on ne peut pas faire disparaître les rides, tenait un salon hors de Bleunoie. Alors que l'on n'appréciait pas vraiment faire de route en ce temps automnal, cette fois-ci, on aimait bien parcourir le long sentier qui menait jusqu'à chez elle. Elle habitait une petite maison fort coquette, décorée à la dernière mode à deux pas du lac de Chartade dont elle était l'heureuse propriétaire. Foudroyé par la tuberculose, monsieur de Sauvecan lui avait laissé un généreux héritage ainsi qu'une généreuse pension de capitaine des gardes qu'il exerçait à Marseille lors de ses derniers instants de vie.

Libéré de l'étau qu'est le mariage, la vieille dame jouissait d'une liberté sans limites et avait pu créer un beau salon qu'elle aimait appeler La Chose Élégante. Chez madame de Sauvecan, on ne parlait pas de n'importe quel sujet, ceux-ci étaient sélectionnés à chaque début de séance. On évoquait l'amour courtois, la mauvaise tenue de la classe paysanne et leur langage, la faculté des hommes à être infidèles et pourquoi leur attribuait-on ce pêché. Le succès avait été tel que madame de Sauvecan souhaitait que ce ne soit que des femmes qui participent à ces réunions intimes et chassa les hommes à grands coups de pieds. Les trouvant trop niais pour ces conversations plutôt féminines, ils n'étaient plus conviés à partager son thé et ses gâteaux. Ayant bon cœur, la vieille dame consacra ses séances à des sortes de thérapies à l'attention de jeunes femmes défavorisées, en quête d'emploi ou tout simplement de réconfort. Consciente de sa méchanceté envers les plus pauvres, elle voulut se racheter. Elle devint une mère pour les unes, une grand-mère de substitution pour les autres qui ne lésinait pas sur les moyens pour sortir des femmes endettées jusqu'au cou. Malgré sa générosité, elle prêtait attention au moindre pique-assiette « car ce n'est pas parce qu'on est vulnérable que l'on ne peut pas rendre les autres faibles » disait-elle souvent lorsqu'il lui arrivait de débourser de grosses sommes.

Apolline confectionnait des objets maison toujours avec amour et passion. Des poupées en laine dont les jeunes femmes pouvaient leur donner une âme et leur parler comme si elles étaient humaines.

*

Le lendemain matin, Corentin de Calésie et Hermione Savrodec furent convoqués dans le bureau du commissaire. D'abord inquiet concernant Madeleine de Beauloir, l'inspecteur essaya de faire bonne figure devant son assistante qui l'interrogea du regard. Elle savait pour elle, mais réussirait-elle à tenir sa langue ? Manifestement de bonne humeur, le commissaire Bouleau indiqua qu'ils étaient immédiatement remis sur l'affaire. J'y étais et j'y resterai jusqu'à sa résolution, avait pensé Corentin en souriant devant les propos de son supérieur. Il savait pertinemment qu'il avait besoin d'eux pour rassurer la population et retrouver la meurtrière et ça n'était pas avec son imposante bedaine qu'il allait démêler cette affaire. Il argumenta sur le temps écoulé depuis les meurtres de sœur Marie et de père Jacques mais qu'il fallait preuve d'un peu plus de dynamisme.

En sortant du bureau, Hermione demanda à son supérieur ce qu'ils allaient faire.

—Ne sautillez pas trop Hermione, la coupa Corentin en lissant sa moustache. Nous ne sommes pas en train de jouer.

—Et vous, que faisiez-vous avec cette femme hier soir ? Vous pensiez que j'avais déjà oublié.

—C'était une entrevue des plus professionnelles, rétorqua le jeune homme.

—Au nez et à la barbe de votre femme ?

—Pas « au nez et à la barbe » de ma femme puisqu'elle était au courant. Ses sbires m'ont suivi et ont pensé que j'étais en train de la faire cocue alors n'allez pas dire n'importe quoi.

Le sang du bonheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant