Chapitre 4

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L'église de Bleunoie était un bâtiment petit, étouffant, aux murs fatigués et éprouvés par les éléments naturels. On éprouvait un certain malaise en montant la petite colline qui permettait d'y accéder. Accolée au cimetière regorgeant de vieilles tombes dont la plupart n'était pas entretenue, la croix chrétienne dominait le village, menaçante, pointée vers le ciel et perchée au sommet du clocher. On accédait au cimetière par un portail rouillé et qui grinçait à chaque passage. Une seule allée séparait les tombes des plus aisés, en marbre et inscrites de belles inscriptions blanches ou grises à gauche, et au centre, la fosse commune entourée de ses soldats de pierre grise couverts de lichen. Et il y avait celles que l'on entretenait plus par manque de temps, d'argent, gorgées des derniers souvenirs des proches aimés. Elles penchaient misérablement pendant que leurs inscriptions gravées grossièrement à la pierre disparaissaient sous l'épaisse mousse verte. Mais le cimetière bénéficiait d'une vue imprenable sur les collines environnantes et la forêt qui prenait déjà son manteau d'automne.

Corentin de Calésie et Hermione Savrodec se rendirent en fiacre jusqu'à l'entrée de l'église. Hermione avait lourdement insisté pour y aller à pied mais l'inspecteur, soucieux de préserver son costume et son nœud à papillon, avait souhaité s'y rendre en voiture. La pluie avait eu raison de lui. Le cocher ouvrit la porte du fiacre et aida Corentin à descendre pendant que son assistante se débrouilla pour ne pas marcher dans les flaques de boue. Elle courut rejoindre son patron qui râla pour avoir manqué d'éclabousser son costume tout juste lavé.

—Vous ne pourriez pas faire plus attention avec vos sabots ? La journée n'a même pas commencée que vous faites déjà une erreur.

—Qu'est-ce que vous pouvez être rabat-joie, soupira la jeune femme. Comment voulez-vous résoudre une enquête alors que vous n'êtes intéressé que par la propreté de votre tenue ?

Désireux de conserver sa réserve de remarques cinglantes pour la suite, l'inspecteur lissa longuement sa moustache et se dirigea d'un pas assuré vers l'entrée de l'église. Une flambée de souvenirs lui revint lorsqu'il pénétra dans ce bâtiment. L'humidité, les statues, les cierges, l'orgue, tout ce qu'il détestait voir et entendre se trouvaient dans ce lieu austère. Il grimaça quand il sentit sa chaussure s'enfoncer dans une flaque d'eau. Petit, ses parents l'avaient baptisé et l'image du prêtre versant l'eau bénite sur le front avait traumatisé l'enfant. C'était pour cette raison qu'il ne supportait pas le froid.

Tous les deux trouvèrent le curé et une femme prier devant la statue de la Vierge Marie. Ils patientèrent quelques instants jusqu'à que l'homme d'église sente une présence derrière eux. Il interrompit la séance en échangeant quelques mots avec sa fidèle. Les yeux baissés, elle s'éclipsa rapidement.

—Père Jacques, dit l'inspecteur de police. Veuillez nous excuser de vous avoir...

—Inutile de vous justifier Corentin, je vous sais d'une naturelle impatience.

Les deux hommes se connaissaient depuis une vingtaine d'années et conservaient des relations épisodiques. Le père Jacques avait tenté maintes et maintes de convertir cet éternel athée au Seigneur mais Corentin, fidèle à ses opinions, refusait catégoriquement de croire en une divinité supérieure. Le curé crut un instant que son ami viendrait enfin lui confesser qu'il croyait en Dieu, mais fut très vite déçu par la raideur du personnage. L'homme avait cinquante-deux ans, le visage rond et joyeux et la bedaine bien en vue malgré l'épaisse bure hivernale qu'il portait. Ses sermons étaient connus pour être francs et convaincants. Les bourgeois de la région veillaient à ce que leurs dons lui permettent de vivre convenablement. Corentin croyait franchement que l'homme avait des revenus beaucoup plus importants et qu'il stockait l'argent du contribuable dans une cache secrète de l'église.

Le sang du bonheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant