Chapitre 4 - Lottie Lovelace

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Londres,

26 Mai

La jeune femme d'une vingtaine d'années observait la route défiler au travers de la vitre de la berline noire de son père. La voiture venait de passer la sortie de Londres et se dirigeait vers Barnsley, ou plutôt vers le château des Wentworth.

Il restait encore au moins trois heures de trajet et la blonde n'avait aucunement envie de discuter avec John, qui bataillait pour faire la conversation. Quelque chose en lui avait changé depuis quelques années déjà, mais Lottie ne l'avait jamais autant ressenti qu'en ce jour. Si la demoiselle était connue pour ne pas avoir sa langue dans sa poche, certains allant jusqu'à dire que son comportement était carrément inapproprié... elle n'osait toutefois pas trop laisser le tranchant de ses mots se retourner contre son père.

Elle essayait de se réjouir de cette visite chez ses amis d'enfance. Isaac et Archibald représentaient, malgré la mésentente des deux frères, ce qui s'apparentait le plus à des amis. En ce qui concernait la jumelle d'Archie, Chastity, c'était plus compliqué. Le courant passait mal, probablement à cause du manque de retenue de la fille unique des Lovelace. Le fait que la seule demoiselle de la fratrie Wentworth n'acceptait pas qu'un jour son Archie chéri puisse « l'abandonner » pour se marier ne devait pas aider non plus.

La blonde observa un moment la bague en or blanc sertie d'une petite émeraude qui ornait son annulaire gauche. Elle

jouait avec l'anneau autour de son doigt, pensive. Richard l'avait fait offrir à Lottie par son cadet. Une demande de fiançailles factice, donc. Pourtant, cette bague avait de la valeur, aux yeux de la demoiselle.

Des sentiments pour l'héritier des Wentworth, elle en avait. Bien trop pour son propre bien, d'ailleurs. Et elle n'était pas complètement étrangère à son changement de parti. Elle avait négocié dans le sens de Richard face à son père pour parvenir à ses fins. Isaac n'en savait rien, et elle espérait qu'il ne l'apprendrait jamais. Le plus âgé des deux frères avait déjà bien assez de soucis de confiance en lui. Inutile de lui rajouter sur la conscience que leur amie commune d'enfance lui « préférait » son cadet.

John l'extirpa de ses pensées lorsqu'il posa une main qui se voulait tendre sur sa cuisse gauche. Le contact fit frissonner Lottie qui observa son père du coin de l'œil tandis qu'il prenait la parole :

— Tu as bien pris ton sérum ?

La blonde rejeta l'une de ses épaisses boucles derrière son épaule et leva les yeux au ciel. Elle finit toutefois par répondre à son père, qui la fixait avec insistance :

— Oui, c'est bon... Pitié, regarde la route ! Tu sais bien que quand je ne conduis pas, je hais la voiture !

John acquiesça et reporta son attention sur l'asphalte. La gorge de la jeune femme se dénoua un peu. Le temps était plus dégagé, loin de la banlieue londonienne. Les rayons du soleil, encore timides, venaient doucement lécher la vitre de l'habitacle et réchauffer la peau de Lottie qui laissa échapper un soupir, comme pour évacuer le stress. Le chef de famille alluma la radio et enquillait déjà un CD dans le lecteur. Après quelques secondes d'attentes, les enceintes du véhicule firent résonner le son des cloches, puis les premiers accords d'Hells Bells.

La demoiselle balançait distraitement son pied au rythme de la batterie. Il était préférable de se concentrer sur la mélodie plutôt que sur les souvenirs sordides de son accident de voiture passé. Elle continuait cependant à observer son père, du coin de l'œil. Il dégageait quelque chose de différent. Comme s'il se forçait à maîtriser son stress et son impatience.

La musique et ce besoin de discuter sans cesse ne servaient qu'à dissimuler son état, à combler le silence, à lui permettre de s'agiter un peu sans que ça ne paraisse trop suspect à sa fille.

Cette dernière en était persuadée, désormais. John cachait quelque chose, ou plutôt... il lui cachait quelque chose, à elle, spécifiquement. C'est ce que son instinct lui hurlait. Il la suppliait aussi de ne pas en parler, pour une fois. Et si son intuition lui criait de lutter contre sa nature même, c'est qu'il s'agissait de quelque chose de grave.

Des tonnes de questions tourbillonnaient dans son cerveau et elle ne pourrait avoir les réponses que lorsqu'il serait trop tard. Elle tenta de camoufler les signaux de stress qu'elle émettait, mais John ne serait pas dupe longtemps. Sa condition de loup avait réveillé chez lui un instinct hors du commun et une finesse acérée dans la perception des émotions des autres. Il l'interrogea du regard l'instant d'après, comme attendu de la part de sa fille.

Lottie se mit à glousser en secouant sa main droite pour congédier l'attention que lui portait son père. Elle finit par trouver un prétexte, sa voix claire emplissant l'habitacle tout comme l'odeur très sucrée de son parfum :

— Oh ! ce n'est rien, je suis juste nerveuse à l'idée de revoir Archie aujourd'hui ! Tu sais ce que c'est, les fiançailles à préparer, tout ça...

Les lèvres de John s'étirèrent à peine, à demi convaincues. Il lâcha cependant l'affaire alors qu'il lui répondait, la voix chargée de sentiment mêlé :

— C'est vrai que nous sommes passés par là aussi, avec ta mère. Elle était tellement nerveuse à chaque fois que nous nous retrouvions seuls à nos débuts...

Un sourire mélancolique s'était peint sur le visage du presque quadragénaire. Lottie était persuadée d'une chose : Élisabeth Lovelace née Blake avait été le seul et unique véritable amour de son père. Après son décès dont il ne s'était pas vraiment remis, il n'avait jamais refait sa vie. Et ce, malgré les nombreuses prétendantes qui s'étaient présentées ! « Ta mère est irremplaçable », c'était le discours qu'il susurrait à demi-mot, perdu dans la mélancolie, lorsque sa fille lui demandait pourquoi il n'avait jamais retrouvé de compagne.

La voix de John, plus basse, s'éleva à nouveau dans l'air :

— Tu lui ressembles tellement, ma Puce.

Lottie acquiesça, consciente d'être le portrait craché de sa mère. Les boucles artificielles et dorées qui coulaient dans son dos jusqu'au creux de ses reins comme une cascade de miel. Ses yeux charbonneux, le nez légèrement retroussé, les lèvres pleines et même jusqu'au grain de beauté niché dans la courbure de son arc de cupidon : tout chez elle rappelait à John son épouse décédée.

La sonnerie du téléphone de son père attira son attention et sa curiosité la poussa à observer sur l'écran tactile du véhicule le nom du correspondant : Jared.

Une moue étrange se peignit sur le visage de la jeune femme. Cet homme-là, elle ne l'aimait pas beaucoup. Proche conseillé de John depuis la mort de son oncle Gulliver, le chef de meute avait changé à son contact. Le fait que son père réceptionne l'appel sur son téléphone directement et non sur le kit mains libres de l'auto confirmait ses doutes : il se tramait quelque chose. Les réponses de celui connu sous le nom du « Loup Blanc » se faisaient brèves. Elle avait en revanche saisi qu'ils allaient avoir un invité spécial au manoir familial de Durleigh. Lorsqu'il raccrocha, Lottie en fut certaine : il fuyait son regard interrogateur.

Qu'est-ce qu'il pouvait bien trafiquer dans son dos ?

L'Héritage du Chasseur : Le Loup parmi nous.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant