Chapitre 45 - Archibald Wentworth

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Combe Martin

25 Décembre, un peu plus tôt.

On est quel jour, Lottie ?

Elle se tourna vers lui, seringue en main. Une moue triste déforma son visage. Sa voix ; habituellement claire et haut perché, résonna lourdement dans l'infirmerie de fortune :

Le vingt-cinq décembre, Archie.

Un rictus étira la bouche du jeune homme. Une année de plus. Vingt-et-un an. C'était Noël. Sa famille était anéantie... et... il était là. Prisonnier et esclave dans un camp de travail dirigé par des meurtriers.

La colère bouillonnait dans son ventre et bataillait contre l'incommensurable peine qui pesait dans sa poitrine. Ses émotions embrumaient tellement son esprit qu'il ne sentit pas la seringue s'infiltrer jusque dans une veine. Amer, il ne put s'empêcher de lancer :

Tu ne me souhaites ni un joyeux anniversaire, ni un joyeux noël ?

Je suis barrée et je dis souvent des trucs déplacés, Archie... Mais même moi, j'ai mes limites. Je t'aime, au cas où t'aurais oublié.

Si tu m'aimes, qu'est-ce que je fou ici ?

Je te maintiens en vie.

Un long silence s'installa entre eux. La tristesse l'emporta sur la colère. Archibald s'entendit à peine lorsque ses mots s'échappèrent de ses lèvres :

J'aurais préféré mourir avec eux.

Lottie ne répondit rien. La louve essuya la piqûre avec un coton imbibé d'alcool. D'un geste de la main, elle l'autorisa à sortir. Sa bouche tordue, sa respiration irrégulière et ses yeux humides la trahissaient. Un mot de plus et elle aurait fondu en larme. Archibald s'empressa de sortir. La voir ainsi, vulnérable, lui donnait envie de lui cracher tout son venin au visage. Son amie d'enfance ne le méritait pas. Pourtant, c'était lui, qui se sentait mal. Il n'avait pas envie de supporter la pseudo empathie de son amie d'enfance. S'ils ne s'étaient jamais rencontrés, si son père n'avait pas fréquenté John Lovelace... Alors ses proches seraient attablés avec lui, aujourd'hui.

La porte avait claqué plus qu'il ne l'avait souhaité. Tant pis. Il échappa au regard des surveillants et se faufila vers la forêt qui entourait le camp. Il s'étonnait de n'avoir jamais été pris. Lottie devait probablement le couvrir. Archie eut un pincement au cœur ; il ne pouvait se mentir à lui-même. Il serait mort, si elle n'avait pas été là. Elle lui offrait la possibilité de se venger, malgré elle. Archibald secoua la tête. Il ne devait pas se laisser attendrir ; c'était aussi de sa faute, après tout. Elle aurait pu... Mieux, elle aurait dû, empêcher ce massacre.

Ses jambes le menèrent à cette clairière qu'il avait découvert peu après son arrivée. Son refuge. Identique en tout point à celle qu'il avait vu aux confins de son esprit, chez Newton.

Fin décembre, cependant, le tapis mauve des clochettes des bois n'était plus. Remplacé par un tapis de feuilles mortes en décomposition et des restes de glands oubliés par les écureuils et les sangliers.

Dans des gestes mécaniques, il se dirigea droit sur le tronc du chêne centenaire et l'escalada pour se hisser sur les branches. Il s'assit sur la grosse fourche à mi-hauteur du bois nu et laissa la colère retomber.

Son cœur semblait si lourd qu'il avait la sensation qu'il était tombé dans son estomac. Sa gorge nouée le faisait hoqueter alors que les larmes roulaient abondamment sur ses joues sales. Il serrait le bois si fort entre ses doigts que les jointures de ses articulations blanchissaient.

L'Héritage du Chasseur : Le Loup parmi nous.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant