Chapitre 18 - Archibald Wentworth

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Barnsley, 26 Mai

Une goutte d'eau s'écrasa mollement sur le lac noir de sa conscience. Les ondulations semblèrent le déranger alors qu'il laissait son corps couler sans un bruit dans l'eau. Il n'avait pas froid, mais se sentait lourd. Son cœur battait au ralenti, pourtant, la sérénité enveloppait son corps et son esprit meurtris dans une douce torpeur.

Une lumière, quelque part au fond du lac, vint troubler le calme ambiant. Elle s'approcha et prit une forme qui lui parut presque tangible. Un frisson parcourut l'échine du jeune homme alors que la lueur n'était rien de plus qu'un regard doré emplit de reproches. Les pupilles le fixaient intensément, débordant de rage. Archibald en était persuadé : à cet instant, il ne pourrait aller nulle part pour échapper à cette culpabilité qui le maudissait.

L'image du corps déchiqueté de Chastity lui revint en mémoire, puis celles de la mort injuste de sa mère. Le bruit des os qui craquent, de la chair qui se déchire. Les cris de douleur suivis des plaintes interminables, emplies de désespoir.

Il ne se baignait pas sereinement dans une eau noire et intangible. Non, il était en train de mourir.

L'eau semblait brutalement s'infiltrer dans ses poumons. Il avait froid, la douleur irradiait dans ses épaules, lui enserrait la gorge. Les yeux s'approchaient, menaçants. Une autre goutte s'écrasa, chaude et visqueuse, sur le visage d'Archibald. Les yeux dorés s'assombrirent jusqu'à prendre une teinte ambrée et l'odeur du sang et des chairs broyées emplit ses narines tandis qu'un souffle fétide balaya la peau de son visage. L'odeur de viande putréfiée lui retourna l'estomac.

Il n'était pas encore mort, sa conscience avait refusé de couler. Il n'était pas seul, l'Être à l'intérieur était avec lui et l'accusait d'avoir laissé un tel carnage arriver. Ses yeux refusaient de faire le focus et sa gorge semblait prête à céder sous la poigne de la bête qui le maintenait.

À tâtons, Archibald trouva au-dessus de lui le blason des Wentworth barré de deux dagues en argents. Il tendit le bras alors que la gueule du lycan s'approchait davantage de son visage. Le chasseur novice parvint à saisir l'un des deux manches.

Dans un réflexe qui ne fut pas le sien, le jeune héritier arma la lame et trancha nette la jugulaire du monstre. Le sang chaud jaillit de l'aorte et le goût du sang envahit sa bouche une nouvelle fois.

Le loup lâcha prise et tous deux s'effondrèrent au sol. Le jeune homme recracha le sang qu'il avait dans la bouche, toussait et cherchait désespérément l'air qui lui manquait. Après de longues minutes où il resta englué dans la mare carmin formée par la bête, il parvint enfin à se lever, la respiration sifflante. Cette fois, ce n'était vraiment pas passé loin.

Toujours dans un réflexe qui lui paraissait aussi familier qu'étranger, il essuya la lame sur un coin épargné de son pantalon. Ses yeux croisèrent leur reflet dans le métal de la dague et son cœur loupa un battement. Si son œil droit lui paraissait tout à fait normal, l'œil gauche, lui, avait pris cette teinte dorée qu'il avait vue durant son inconscience. La panique le gagnait, est-ce que l'autre se réveillait ? Il sentait sa présence qui se coulait sous sa peau, mais qui ne s'enracinait pas dans ses muscles, pour une fois. Archibald gardait le contrôle de son corps.

Pour la première fois, il ne pouvait plus se décharger sur cette chose qui vivait malgré lui dans son enveloppe corporelle. Ce sang qui le recouvrait, c'était bien lui qui l'avait fait couler. Cette réalité le terrifia.

Un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale et il sentit une sueur froide perler sur sa peau alors qu'elle vibrait à cause du réflexe d'horripilation. Il tenta vainement de se débarrasser du sang qui mouchetait la peau de ses paumes rougies. Un peu plus d'hémoglobine s'étala sur son épiderme qui avait pris un teint livide, presque transparent.

De son œil droit dévala un torrent incontrôlable de larme. L'œil d'or, lui, s'animait d'une lueur revancharde et culpabilisante. La tristesse, l'effroi, la solitude, la colère, la soif de vengeance... Un véritable pot-pourri d'émotions brutales et affligeantes tourbillonnait douloureusement dans sa poitrine et l'étouffait.

Le seul exutoire qu'il trouva, en cette fin d'après-midi du 26 mai, fut le cri déchirant qu'il poussa. Son désespoir se répercuta dans le vide et le silence du château. Agenouillé dans le sang du loup dont il avait pris la vie, il se détestait d'avoir songé que son quotidien était un enfer.

Dorénavant, il n'avait plus de mots pour décrire ce qu'il restait de sa misérable existence.

Centré sur sa propre souffrance, il ignora complètement les signaux d'alerte que lui envoyait l'Être à l'intérieur. Il parvint même à le renvoyer au plus profond de lui-même. Les pas lourds de la bête qui venait de passer l'angle du couloir se rapprochaient. Tous les sens d'Archibald étaient en alerte, pourtant il laissa ses bras pendre mollement le long de son corps, ses doigts effleuraient le sang sur le sol. Quand le lycan fut juste derrière lui, il ferma les yeux et expira longuement, prêt à rejoindre ceux qu'il aimait tant.

Il ne put empêcher la peur de le saisir à nouveau quand il se sentit soulevé de terre comme une poupée de chiffon. La chose en lui profita de cet instant d'incertitude pour hurler, au fond de lui. Il devait faire quelque chose, survivre. N'importe quoi pourvu qu'il survive.

Le jeune homme commença à se débattre aussi violemment que possible. Le loup le lâcha lorsque son genou atteignit sa gueule et l'adolescent s'écrasa lourdement sur le sol. La bête posa l'une de ses pattes postérieures entre les omoplates d'Archibald qui sentit les griffes du monstre entailler sa chair comme du beurre. L'air s'échappa de ses poumons sous la pression puis il sentit son corps projeté dans la pièce. Le loup venait de lui assener un violent coup de pied. Son corps fut stoppé dans sa course par l'une des colonnes de marbre du grand hall. Un grognement plaintif lui échappa. La bête le saisit par le col et le souleva de nouveau.

— GARRETT !

Le cri dans la salle sembla stopper le loup net. Archibald reconnut cette voix, mais son esprit était bien trop embrumé pour savoir quoi faire de cette information. Il espérait seulement que Lottie pourrait se mettre en sécurité.

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Et voilà ! nous y sommes, fin de la partie une de ce tome en trois partie ;)

Nous retrouverons Lottie, demain ! Pas certains qu'elle soit ravie ravie de voir l'état dans lequel son cher Archie a été mis :X

La journée du 26 mai est enfin presque terminée. On va pouvoir passer à la suite ;)

J'vous fait des bécaux !

Loranee.

L'Héritage du Chasseur : Le Loup parmi nous.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant