FLATTEUR

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Au ciné, il y a une heure creuse où personne ne vient pour acheter une place ou sortir de séance.
Dans ces moments-là, la solitude me chope et me pousse à trouver la moindre occasion de me distraire.

Là, je suis en pleine lecture du tome onze de hunter x hunter. Gon vient d'arriver dans le jeu Green Island et Kirua se fait déjà embrouiller par un autre joueur. J'ai hâte d'être au moment de la balle au prisonnier.

Un jour on peut me voir avec un livre à l'eau de rose, un autre avec un manga et celui d'après, un roman policier.

Alors que je tourne ma page, une main vient fermer mon shōnen. Je lève les yeux automatiquement, m'attendant à découvrir mon nouveau collègue Adel, mais c'est une toute autre personne qui s'est permise de me déranger.

— tu lis des mangas même au travail. C'est pas pro.

Ma satisfaction de le retrouver alors que ça faisait une semaine se traduit sur mon visage. Et la peut-être sienne, sur le sien.

— monsieur l'inspecteur, lui tends-je ma main

— madame la récidiviste, la serre-t-il

Bon. C'est vrai que ça fait deux fois qu'il me grille à lire pendant mes heures de travail.

— que puis-je faire pour vous ?

— un mec, la cinquantaine m'a filé une serviette chiffonnée comme jamais. À ce qu'il parait je dois des comptes à une femme lettrée. Vous savez où j'peux la trouver ? J'sais pas d'où elle sort, j'ai un peu peur.

Purée, ce jeu me plaît particulièrement.
Je me montre du doigt de la tête au pied, en souriant d'amusement.

— ah ouais bah j'ai encore plus de quoi avoir peur là ... sa douceur tue de fou. À tout moment j'prends vraiment une balle.

Il est flatteur. Je l'ai remarqué ça aussi. Il arrive parfois à caler des flatteries. C'est gratos en plus. Mes joues rouges me trahissent, c'est sûr. Fait chier.
Avec le temps, j'ai pris en confiance en moi et en audace mais alors mes éternels rougissements quand je suis gênée ou flattée, eux ne se sont pas améliorés.

— tu m'fascines, j'te jure, ris-je bref, t'es arrivé tôt, j'ai pas fini ma journée hein.

Une des séances vient juste de se finir, à entendre l'agitation dans les escaliers. Il va falloir que je retourne au charbon.

— ouais, j'sais. J'vais te piquer ton manga du coup, sourit-il sournoisement tu peux bien, c'est pas tous les jours qu'un type aussi beau est prêt à t'attendre une bonne heure.

— tu seras dans l'thème alors, avec ton vieux sourire là, on dirait celui d'Hisoka. Bien narquois.

Je n'ai même pas le temps de glisser le tome jusqu'à lui qu'il a déjà aplati sa main dessus. Super, j'ai ma main sur la sienne. Il ne me faut pas plus de deux secondes pour l'enlever. Gênant ça.

— et les mains douces aussi, je note.

Et moi je vais inscrire son nom dans mon death note s'il continue de me déstabiliser oui. Au côté de celui de Séverine dont l'encre n'est pas encore sèche.

— fauteuil rouge, claque-je

Il part en direction du fauteuil, laissant son meilleur rire parvenir à mes oreilles. Je l'observe remettre correctement sa casquette et ouvrir le manga. C'est un ouf, il vient de le sentir. On dirait moi qui snife les nouveaux ouvrages en librairie ou bibliothèque.

Filer à l'anglaiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant