EMBARRASSÉ

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Ça tourne en boucle dans ma tête. On dirait qu'un putain de vinyle rayé qui ne peut plus passer les musiques tente quelque chose.

Hormis jouer avec mon critérium au lieu d'esquisser la dernière partie blanche de ma toile, je ne fais absolument rien. Néant. Comme si, par hasard, elle n'était pas à rendre avant la fin de l'année. Spoiler, c'est déjà la fin de l'année.

Mais je ne peux pas me concentrer, c'est au-dessus de mes forces. Ça tourne réellement en boucle depuis hier soir. Que ça soit notre discussion, notre jeu ou ce qui s'est ensuivi. La pression ne veut pas complètement redescendre. J'ai son visage, ses mots, ses lèvres qui ne veulent pas quitter mon esprit. Je ferme les yeux et j'imagine qu'en les rouvrant, ils s'ouvriront sur les siens.

C'est trop, mon imagination me plaît bien plus que de finir cette toile dont je parle depuis beaucoup trop longtemps déjà. J'ai envie de ragequit le projet mais malheureusement, je suis dans la vraie vie. Si je ragequit, Béber va me faire quitter la formation tout court. Ce n'est pas non plus ce que je veux. C'est fou que même lorsque j'y mets de la bonne volonté, la procrastination me rattrape toujours à grandes foulées. Ça me fait penser à cet ex qui ne veut pas lâcher tes côtes alors que c'est lui qui t'a quitté.

Je suis censée mélanger du bleu et du blanc pour obtenir un bleu minéral hyper profond, depuis le début de la matinée. Mais là, j'ai plus face à moi un bleu marine prêt à s'encroûter dans ma palette en bois, tellement il est en stand-by depuis que je ressasse ma soirée d'hier.

C'est faible de ma part. J'ai juste eu à poser mes yeux sur mon pot à crayons pour que mes pensées se dispersent et que ma recherche de couleur parfaite soit relayée au dernier plan. J'y ai trouvé les trois marrons que je m'étais empressée de sélectionner chez Rougier et Plé. Tout me ramène à lui. Même regarder à droite de ma toile. J'aime vraiment bien la noisette. C'est moi qui provoque ça mais j'arrive encore à faire la choquée lorsque je m'en fais le constat. C'est déroutant.

Et comme si l'autre partie de mon cerveau ne pouvait pas non plus souffler, j'attends patiemment qu'avec Elise, nous nous retrouvions pour prendre un verre. Petite victoire, c'est elle qui en a eu l'initiative. Son message était tellement peu assuré et mignon que je n'ai pas pu continuer à faire jouer ma fierté en étant sèche. J'ai accepté instante mais je ne suis pas en détente pour autant.

Après, j'ai parlé à Palmyr, hier soir, lorsque je suis rentrée. Je crois qu'il est vraiment persuadé qu'il se passe un truc avec Feu. Et je commence à considérer la chose aussi. Dommage, que pour lui, il semble se passer des choses avec bien trop de parisiennes. Qu'il ait autant de moyens de comparaison me rend un peu hésitante. Il pourrait déjà m'avoir comparé avec toutes celles qu'il a pu fréquenter ou qu'il fréquente encore. Mes pensées brouillées, c'est également pour ça.

Je suis une de plus et si ce n'est pas déjà le cas, une parmi tant. Et sincèrement, ça me fait plus chier que la discussion que j'ai pu avoir avec Palmyr. Largement. Mais je maintiens ce que je lui ai dit, je ne limiterai jamais une personne à son nombre de conquêtes. Encore moins lui. Je ne lui ai juste pas dit que je me limiterai seule et que ma confiance et ma singularité seront en baisse de régime à son sujet.

De toute façon, il fallait bien qu'une troisième raison me tourmente pour ne laisser aucune chance à mon cerveau de se recentrer sur l'essentiel, du genre, mes cours. Faut voir comme j'aime la complexité.

Mais il a raison aussi, quand on est au studio, on a l'impression d'être dans une bulle impénétrable. J'y ai découvert encore plus de lui. Ça m'a encore plus plu. Alors m'imaginer qu'il peut agir comme ça avec d'autres filles en parallèle a eu l'effet inverse. Je sais bien qu'il n'y a rien de concret, c'est juste que ce n'est jamais confortable de se dire que le mec qui vous trouble en ce moment, se laisse troubler par d'autres filles en plus de vous. Je devrais en faire autant mais c'est bien le seul à me troubler pour l'instant.

Filer à l'anglaiseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant