L'espoir

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Quelques cartes posées sur la table.
Une profonde inspiration, un murmure. L'attente se faisait sentir, les yeux étaient mi-clos, la femme semblait regarder à l'intérieur d'elle. La lueur d'une bougie posée sur la table, vacillait comme mon espoir.
« Et qu'est-ce que ça signifie ? » Prononçais-je d'une voix agacée.
L'impatience était trop longue avant que la femme d'un certain âge releva la tête. J'essayais de lire les rides de son front.
Soudain elle plongea ses yeux gris dans les miens : « la mort ! » dit-elle. La voix était grave, comme celle d'une fumeuse qui donnait aux sons une rugosité qui me fit froid dans le dos. 

Pour qui me prenait-elle cette femme à jouer les oiseaux de mauvaises augures ? Engoncée dans sa robe et son foulard, ses allures de bohémienne étaient un simulacre. Si c'était une plaisanterie, elle avait assez duré. J'avais payé mon entrée 10 euros pour assister à un cérémonial où les cartes d'un tarot divinatoire révélaient "ma mort". Comment des carte aux graphismes médiévaux où l'on voyait une faucheuse pouvait déterminer ma fin prochaine ?

Elle avait répété le rituel à trois reprises, et à chaque fois, les mêmes cartes : la roue, l'étoile et enfin la carte sans nom qui était représentée par un squelette fauchant des crânes.

Quelles pouvaient être les probabilités qu'un jeu de tarot divinatoire de 22 cartes puissent sortir à trois reprises les mêmes cartes ?

C'était truqué. Je n'avais pas réagi lors du premier tirage. J'avais lâché un "très rassurant votre truc !" et j'allais me lever mais la vieille femme avait bien rôdé son jeu et elle devait vouloir que j'en aie pour mon argent car elle recommença une deuxième fois, l'ai sérieux. Elle prit un air terrifié et surpris en découvrant les mêmes cartes. 

- Bon ! ça va j'ai compris.. ai-je dit sur un ton sarcastique et quand elle recommença une troisième fois, c'est là que je lui ai demandé ce que tout cela signifiait.

Bien sûr que j'allais mourir ! N'est-ce pas la fin inéluctable après tout. Tout ce qui vit meurt. Je n'allais pas accorder du crédit à cette femme ? 

Je quittai l'attraction, rejoignant mes amis qui étaient occupés autour d'autres jeux de la fête foraine. 

- T'en fais une tête ? me demanda Emilie. T'as vu un fantôme ?

Je lui tendis mon bras pour marcher à ses côtés et je cherchais mes mots. Elle n'insista pas et nous avons continué à faire le tour de quelques attractions dans la fête foraine, mais depuis que cette diseuse de bonne aventure m'avait annoncé "la mort", je ne parvenais plus à me concentrer sur autres choses. 

Dès lors, je me suis mis à penser, à gamberger comme jamais. La moindre déflagration d'air comprimé d'une attraction me faisait sursauter, les tasses qui tournaient sur elles-mêmes et se soulevaient semblaient me provoquer. Un tir de carabine à plomb sur un ballon de baudruche qui éclatait suffisait à me mettre les nerfs en vrac. 

Sur la route du retour, j'imaginais que les freins de la voiture allait lâcher ou bien que le chargement du camion qui était devant nous allait perdre son contenu et que je finirais écrasé par lui. Comment était-il possible que la suggestion de cette mort pouvait avoir une incidence sur mon esprit troublé ?

La nuit fut entrecoupée par de drôles de rêves dont je ne parvenais pas à me rappeler. Je me réveillai brusquement, effrayé pour un rien. Allongé sur le dos, l'insomnie me guettait. 

Ce n'était pas comme si un médecin m'avait annoncé que j'entrais dans une phase terminale d'un cancer. Le mal qui me rongeait depuis des heures était aussi invisible qu'un cancer, j'étais rongé par le doute. 

Et si en effet ma mort était imminente. Je revoyais les trois cartes posées : "la roue", "l'étoile" et "la carte sans nom". Les idées tournaient dans ma tête dans la crépuscule de ma chambre. 

Quand bien même ce jour arrivera, ne devrais-je pas établir une liste de choses à faire avant que cela n'arrive ? 

Je pris une feuille, un stylo et je me trouvais incapable de formuler ce que je voulais faire réellement. Tout tournait autour d'éléments matériels : gagner au loto, avoir un écran géant, ou bien autour de rêves impossibles : ma carrière de footballeur professionnel était impossible, jouer dans le dernier film d'action me semblait tout aussi irréaliste que devenir l'influenceur le plus populaire des réseaux sociaux.

Non, en fait, j'avais tout ce dont un individu a besoin : des parents, une petite amie, un appartement, un travail, une voiture, de quoi manger... J'avais tout et pourtant je ne semblais éprouver aucun plaisir à vivre.

Ma vie était réglée comme du papier à musique : je suivais les mêmes horaires, les mêmes habitudes, les mêmes fréquentations. 

Et si en effet, je ne devais pas casser tout ça et me laisser vivre une autre vie. Et si mon bonheur ne devait pas passer par le fait qu'il fallait que je meurs et que je renaisse. L'idée de m'inventer une nouvelle vie m'excitait.

Il m'a fallu quelques mois pour rendre l'appartement, vendre les quelques meubles,  la voiture. Je terminais mon contrat de travail sans demander à le renouveler. Je n'avais parlé à personne de mon projet. J'ignorais d'ailleurs tout de ce qui allait m'arriver après ça.

Le déclic se fit, lorsque je rendis symboliquement les clés de l'appartement au propriétaire. La nuit tombait, un soir d'automne, je me sentis libre. Libre de tout. Je n'avais gardé qu'un sac de sport assez grand pour contenir des affaires de rechange, une trousse de toilettes. Quelques papiers d'identité, un carnet et un stylo.

Je pris la route, un soir, je réalisai que les cartes n'avaient pas complètement menti. J'avais forcé le destin, en tournant la roue de la fortune et c'est sous les étoiles, qu'une partie de moi a disparu, comme l'avait annoncé la voyante.
 

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⏰ Dernière mise à jour : Dec 24, 2022 ⏰

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