Le progrès

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"Ce qui est essentiellement mécanique est essentiellement dépourvu de sens"

Nietzsche

     L'histoire que je vais vous raconter est bien singulière et je comprendrais qu'on ne me croit pas. Avant de l'exposer, il faut préciser que je sortais de l'université, j'avais obtenu une maîtrise dans le domaine de l'édition et j'occupais mon premier poste à la bibliothèque universitaire d'une grande ville étudiante. Ce genre d'emploi me convenait très bien, je n'étais pas obligé de converser avec les quelques étudiants qui venaient, trop occupés à réviser leurs examens. Il arrivait que quelques professeurs me demandent des éditions particulières qui méritaient qu'on les guide mais en général, j'avais affaire à des lecteurs autonomes qui savaient ce qu'ils voulaient et me laissaient le plus clair de mon temps à étudier les auteurs les plus inconnus qui soient.

     Oui car contrairement à la plupart des lecteurs, j'avais cette passion pour ces auteurs inconnus. J'avais la conviction que de la même façon que ces chercheurs d'or qui extrayaient de la rivière des pépites, je trouverais au milieu de ce flot continu d'œuvres entassés dans les remises, un auteur de génie méconnu ou oublié. Bien sûr, je tombais le plus souvent sur des fous littéraires qui n'avaient de géniale que leur prétention. Mais un soir, alors que je poursuivais mes recherches bien au-delà de la fermeture de la bibliothèque, à la lueur de la lampe, je suis tombé sur un manuscrit particulier. Je dis « particulier » non pas dans le sens singulier, mais dans le sens d'unique. Un objet rare indéniablement. Sa graphie était déconcertante. A la manière dont les pages étaient reliées, on aurait pu estimer que le les feuillets dataient du XVIIIème ou XIXème siècle. Du moins, ce témoignage avait une valeur plus importante qu'il n'en paraissait. Mais ce fut surtout le récit suivant qui me sidéra.

"J'écris ici mes mémoires car avant de quitter ce monde, j'aurais la satisfaction de savoir que ma voix résonnera peut-être encore dans les années qui viendront. Si ces mots tombent dans l'oubli, j'aurais au moins eu la satisfaction d'avoir essayé de prévenir le monde d'une folie à venir. Je ne perdrais pas mon temps à vous convaincre de l'existence de Dieu ou du Diable. Il semblerait que cette question ne soit plus d'actualité. Il faut comprendre ma seule préoccupation est celle de la survie de ma famille et des générations futures. La seule question qui m'importait était de nourrir ma famille et qu'ils ne se retrouvent pas grelottants dans le froid de l'hiver qui menace. Je ne supportais plus de voir mes enfants souffrir ainsi.
Les maigres revenus de mon travail journalier comme saisonnier ne suffisaient plus, j'ai suivi la grande route jusqu'à la ville la plus proche où je découvrais les manufactures et les fabriques de banlieue. La main d'œuvre était affairée mais personne ne put me renseigner sur un quelconque travail que je pusse prendre. J'avais longé les rues les plus larges et je finis par errer par les traverses plus étroites.
La nuit vint. Fatigué, je tombai sur une petite enseigne annonçant une auberge.
L'entrée se faisait en bas de quelques marches et donnait l'impression de rentrer dans une sorte de cave. Les lieux semblaient très calmes, j'eus cette impression que les discussions s'étaient arrêtées à mon arrivée, comme si j'avais interrompu quelques discussions censées rester secrètes. Je traversais la petite salle au milieu des convives attablées qui me lorgnaient d'un regard torve. Quelques tables en bois au centre d'une pièce mal éclairée, devant un comptoir où se tenait un être qui semblait figé dans le décor. Sa façon de parler était aussi ordurière que ses manières et même si je ne suis pas un bourgeois, sa vulgarité me repoussait. Je lui ai demandé où je pouvais trouver du travail mais son souci était que je consomme.

J'ai commandé à boire et voulus m'installer dans un coin en attendant que mes jambes se délassent d'avoir marcher plusieurs lieues. A ce moment, un homme brun, aux favoris fournis s'installa devant moi et me salua en m'appelant "mon ami", il y aurait eu de quoi se méfier mais dans le désarroi où je me trouvais être, le mot "ami" fut réconfortant à entendre et mon for intérieur dût espérer qu'un ami venait se pencher sur moi. Son visage était aimable, un sourire léger, des yeux avenants, ses manières semblaient être celles d'un gentilhomme, il portait un col de chemise blanc bien entretenu sur un veston impeccable, une chaîne ressortait de son veston et il me semblait avoir déjà vu ce genre de chaîne au bout d'une montre gousset. Je me suis dit que c'était un homme fortuné et j'étais loin de deviner que ses bonnes manières cachaient de mauvaises intentions.

Terreurs nocturnesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant