Le maître de la nuit

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     La nuit est tombée depuis des heures maintenant, la ville est endormie et j'aime cette sensation de me promener dans cette obscurité. Le silence est pesant, on peut entendre le grésillement de quelques éclairages publics, le bruissement des feuilles dans les arbres poussées par un vent léger. La solitude à cet instant me comble. Je marche fièrement. Pourquoi ? Qu'est-ce qui me rend si bien ? Ce rien ? Cette obscurité ? Le fait de n'avoir rien à prouver, de n'avoir pas à faire face à qui que ce soit... Ces accents d'éternité sont juste savoureux. 

    Le rythme de mes pas dans la ville endormie sont comme le tic-tac de l'horloge, le décompte du temps qui semble tourner dans le vide. Je m'évade et m'oublie jusqu'à ce que la fatigue se fasse sentir et puis sortant de mes rêves éveillés, je commence à espérer voir venir poindre les premières lueurs du jour. L'activité reprendra son cours et tous s'animeront dans les rues désertes. Alors, je me dirai que pour une fois, j'étais le premier. « J'étais là, bien avant vous ! » leur dirai-je. Ils me prendront pour un marginal, un de ces noctambules qui se couchent quand les autres se lèvent. Ils auront une fois de plus cette mine fatiguée, cet air de rien, renfrogné, ces corps s'entasseront dans les transports en commun ou bien suivront la circulation des voitures.


     Je m'oubliais complètement quand tout à coup, j'entendis plus distinctement le bruit de mes pas qui claquaient sur la chaussée. Comme un écho répondant à ma marche rythmée par mon enthousiasme. Alors que j'arpentais la chaussée de ce boulevard désolé, je me fis cette réflexion qu'il était impossible qu'un écho puisse faire résonner mes semelles battantes. L'idée me vint que j'étais suivi. 

    Je ralentis brusquement ! Je crus clairement entendre un autre pas que le mien ou bien était-ce mon imagination débordante qui me jouait des tours ? 

     En ralentissant ma marche, l'avais-je surpris ? car à cet instant il me semblait ne plus rien entendre... comme si mes pas étaient étouffés. 

    Je tournai la tête dans tous les sens et entamai d'un pas nerveux ma marche qui devait m'amener à mon domicile. J'avais la certitude d'être suivi. La promenade avait assez duré. Quelqu'un avait murmuré... J'en étais sûr ! Enfin je le croyais...

   Ou bien étais-je fatigué ? Les jambes étaient lourdes. Je ressentais un état de lassitude pesant. Le chemin qui me séparait de l'apparente sécurité de mon logement paraissait interminable. Qui était cet autre qui me suivait ? Il devait être très proche maintenant, je l'imaginais juste derrière moi. 

    J'accélérai. Je vis au loin la porte d'entrée. Je sentis comme une brise sur ma nuque, l'effet glacial me fit trembler car il me semblait sentir son souffle... qui cela pouvait-il bien être ? Où pouvait-il se cacher ? 

    Sous les réverbères, j'ai cru voir des ombres multiples. Était-ce la mienne ? Probablement mais une semblait bien plus grande et massive que les autres.

     Enfin j'ouvris nerveusement la porte de ma maison et je la fermai vite derrière moi. J'allumai enfin la lumière et ce qui aurait dû être une délivrance devint un effroi inexplicable. Je rentrais chez moi, dans cet espace intime qui aurait dû me réconforter mais au contraire, c'est comme si j'avais ouvert la porte à des forces invisibles sorties des ténèbres. De nouveaux mondes s'ouvraient à moi. Des perceptions impossibles devenaient possibles. 

    Il fallait que je me voie dans le miroir, je devais absolument voir la physionomie de mes traits, ils me semblaient être agités, je me sentais comme possédé par une force étrangère que je ne mesurais pas. 

     D'où venait cette énergie, ce feu qui m'animait, me brûlait de l'intérieur. Je devais avoir l'air d'un fou mais au lieu de cela, ce que je vis sur la surface froide du miroir fut pour moi un objet d'horreur, le blanc des yeux exorbités faisaient ressortir la pupille qui me scrutait de façon hypnotique, les lèvres retroussées montraient une dentition carnassière, le nez était retroussé comme un animal enragé, prêt à vous mordre. 

    Une face étrangère me fixait nerveusement !
L'évidence était d'avouer que ce n'était pas mon visage, non ! J'étais devenu sujet à l'angoisse. Sans aucune maîtrise de moi-même, j'étais devenu un autre. 

Terreurs nocturnesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant