CHAPITRE 2 - Sofia

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SOFIA

Vendredi 26 août 2022
São Paulo, Brésil


    Le jour se lève à peine derrière les rues de la ville et déjà le ciel teinté de rose laisse entrevoir une matinée splendide. Je marche d'un bon pas dans la favela, un sourire satisfait aux lèvres. L'air n'est pas trop lourd et les rues sont remplies de vie. Sur le trottoir, devant la vitrine d'un magasin, un enfant au teint hâlé fait rouler un ballon jaune sous ses pieds noircis par la saleté. Sur son maillot — jaune lui aussi —, le A de NEYMAR s'est décollé. La balle échappe à son pied et commence à rouler en direction de la route.

   Je m'empresse de traverser pour le récupérer avant qu'une voiture n'arrive et le tends au garçon qui me gratifie d'un sourire. Je lui renvoie un sourire timide, presque gêné, puis je poursuis mon chemin sans me retourner. Ici, il est impossible d'aider tout le monde et je l'ai compris le jour même de mon arrivée dans cette ville aussi importante que dévastée.

   Je marche toujours d'un bon pas, ma bouteille d'eau fraîche à la main. Je l'aurai probablement vidée avant d'arriver au foyer, comme tous les matins. L'effort et la chaleur ne font généralement pas bon ménage. Je l'ai appris bien assez tôt quand j'ai failli m'évanouir à mi-chemin lors de mon premier jour de travail.

   J'ai vite appris la leçon et le lendemain je partais avec une bouteille d'eau, puis m'arrêtais acheter de quoi manger sur le trajet. Depuis, c'est devenu mon rituel : prendre mon petit déjeuner pendant les vingt minutes de marche qui me séparent du foyer. Je ne prenais pas de petit-déjeuner avant, mais beaucoup de choses ont changé depuis que je suis au Brésil.

   Quand j'arrive devant le foyer, je me repasse rapidement en tête les trois règles que je me suis fixées lors de mon premier jour, quatre ans plus tôt.

   Toujours garder le sourire.

   Ne jamais parler du passé.

   Faire de mon mieux.

   Voilà les trois règles que je m'efforce à suivre tous les jours, même si parfois ce n'est pas évident.

   Tandis que mon corps traverse cette barrière invisible qui sépare la rue et le foyer, mon visage se transforme. Un large sourire apparaît sur mes lèvres, mais mes yeux restent impassibles. Je ne peux rien montrer. Je ne dois rien montrer. Cette attitude me permettra, je l'espère, de rassembler toute la force dont j'aurai besoin aujourd'hui pour faire de mon mieux. Et ici, faire de son mieux c'est déjà beaucoup.

   Je gravis les quelques marches qui me séparent des deux immenses portes d'entrée que je pousse sans la moindre hésitation. Avec les années, je me suis habituée à ce qui m'attend de l'autre côté. Tandis que les premières fois je les poussais avec appréhension, aujourd'hui je les pousse avec conviction. À l'intérieur, de nombreuses jeunes filles attendent déjà dans le long couloir de l'accueil.

   Certains visages sont plus graves que d'autres, mais je sais qu'elles sont toutes là pour la même raison et chaque jour ce couloir ne désemplit pas. Je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose. Chaque jour, je le traverse la tête basse, incapable de regarder ces jeunes femmes dans les yeux.

   Bientôt, elles seront probablement de l'autre côté de ce couloir de toute façon. J'avance rapidement et passe la porte située au fond. J'emprunte un second couloir qui me mène tout droit dans le dortoir commun. Ici, une dizaine de jeunes femmes cohabitent avec trois enfants en bas âge.

LE JOUR OÙ LES ÉTOILES ONT CESSÉ DE BRILLEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant