LE JOUR OÙ LES ÉTOILES ONT CESSÉ DE BRILLER

CHAPITRE 20 - Alban

ALBAN

Lundi 17 juillet 2017
Las Vegas, États-Unis

Lorsque Saïd nous rejoint, personne n'ose le regarder dans les yeux. Il est parti si vite, sans la moindre explication, que tout le monde a été pris de court. Les répétitions qui avaient été interrompues par l'arrivée de Georges n'ont pas pu reprendre et on est tous retournés dans les loges, perdus.

Personne ne lui demande ce qu'il s'est passé, mais il semblerait que sa discussion avec Mina lui ait fait du bien. Tandis que tout le monde se prépare en silence, le visage fermé, lui, se tient près de la porte, impatient. Sa guitare déjà autour du cou, il tapote nerveusement ses cordes en fredonnant nos chansons.

Par moment, je lance des regards à Loup pour essayer de comprendre, mais il est bien trop concentré pour faire attention à Saïd. Ce n'est que lorsque je croise le regard de Mina que je comprends que quelque chose ne va pas. Saïd est revenu plus confiant de sa discussion avec elle, mais Mina, au contraire, semble bien plus inquiète.

La tension monte à seulement quelques minutes de monter sur scène. Georges Tarsin sera dans le public ce soir. Je crois bien que c'est la première fois qu'il va nous voir jouer depuis le concert de fin de terminale qui l'avait convaincu de nous accompagner dans cette aventure. Je suis nerveux à l'idée de le savoir là, mais je suis incapable d'imaginer ce que ça doit être pour Loup. Il n'a rien mangé de la journée si ce n'est ses ongles. Seul Saïd semble serein, alors qu'il nous a plantés en pleines répétitions quelques heures plus tôt.

Je n'ai aucune idée de ce que ce concert nous réserve, mais au fond de moi, tout en fond de mon estomac, quelque chose se noue. Pourquoi j'ai ce mauvais présentiment qui ne me quitte plus depuis ce matin ?

Les lumières s'éteignent et mon présentiment disparaît aussitôt. Les cris de la foule, filtrés par mes oreillettes, emplissent ma tête et je ne pense plus à rien d'autre. Entre mes doigts, mon médiator gratte les cordes de ma guitare de manière évidente. Chaque note est parfaitement accordée à la suivante. Je joue mieux que certains soirs et les yeux ahuris du premier rang me donnent l'impression de léviter. La gravité n'a plus d'effet sur moi quand je saute à travers la scène pour rejoindre Saïd et jouer avec lui.

Même Loup semble avoir laissé son anxiété en coulisses. Il joue et chante comme chaque soir, sa voix est forte et assurée, guidée par celle de Saïd. Je me retourne souvent vers Sofia qui me sourit à chaque fois. La scène nous fait tout oublier et je sais qu'elle ne m'en veut déjà plus pour ce matin. Je sais que j'ai été maladroit. Je ne suis pas sûr de saisir pourquoi et comment je l'ai blessée, mais je l'ai blessée, ça c'est sûr. Je le regrette maintenant, comme à chaque fois que je laisse ma bouche parler avant de m'être mis d'accord avec elle au préalable, mais ça, il est hors de question que je l'avoue devant Sofia. Comme souvent, je laisse le temps faire et comme souvent, il suffit d'un concert, d'une bonne partie de rock pour chasser tous les tracas.

— Are you still there ? hurle Saïd dans son micro lorsqu'on s'apprête à lancer notre dernière chanson, celle que tout le monde attend.

Une pluie de cris lui revient tandis que je commence progressivement à gratter l'intro, subtilement, quelques notes par-ci par-là, en attendant que Saïd termine son speech habituel de fin de concert.

— We're very happy to be here with you tonight. Thank you for coming.

Il laisse la foule crier encore un peu et chaque soir, je remercie le ciel d'avoir placé Saïd sur notre route. Non seulement sans lui Nameless n'aurait jamais existé, mais en plus de ça, sans lui, on n'aurait sûrement jamais pu venir jouer ici, aux États-Unis. Il est le seul capable de parler comme ça à la foule, dans une autre langue que la sienne et se faire comprendre comme s'il était né ici. Les concerts, les interviews, les rencontres avec les fans, on serait vraiment perdus sans lui.