CHAPITRE 15 - Loup

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LOUP

Vendredi 2 juin 2017
Orlando, États-Unis


— On est vraiment obligés de rester, même si on chante pas ? demande Alban, affalé sur une des banquettes du salon.

— Un peu de soutien, ça fait toujours plaisir, je lui lance. Nous aussi on aimerait bien dormir.

Voilà plus de deux heures que le concert est terminé, mais ce soir, pas d'escapade nocturne. On se retrouve dans le salon du tour-bus pour enregistrer des voix pour notre prochain album. Comme on sera en tournée tout l'été et très probablement à l'automne également, on a pas d'autre choix que de le préparer maintenant. Saïd n'était pas trop pour. Son truc c'est une équipe restreinte, à La Pergotière, au bord de la piscine. Moi je trouve ça plutôt cool d'enregistrer entre deux matelas, à trois heures du matin, pendant que le bus roule. La fatigue est le plus difficile à gérer, mais quand la musique se lance dans le casque, j'y pense plus vraiment.

Alban et Sofia sont là aussi, même s'ils n'ont pas vraiment de rôle pour cette partie. Comme Tony nous l'a répété : on est un groupe et on partage tout, les joies comme les galères. Sofia peine à garder les yeux ouverts, mais les remarques incessantes d'Alban l'empêchent de céder à l'appel du sommeil.

— Bon, vous avez quoi les gars ? Je sais qu'il est tard et que tout le monde est fatigué, mais d'habitude, vous me donnez un peu plus que ça.

Je me tourne vers Saïd. Je sais qu'il m'en veut, mais il ne m'a pas adressé la parole depuis qu'il a quitté les loges avant les répétitions. Et quand il a décidé qu'il ne parlera pas, il ne parle pas.

Tony se tourne vers moi, sentant que je serais le plus à même de lui donner une explication. Je me contente de hausser les épaules. Il n'y a pas vraiment grand-chose à dire. Saïd m'en veut parce que j'ai accepté de faire ce que nous demandait Drew. Moi non plus ça ne m'enchantait pas de le faire, mais on avait pas le choix. C'était ça ou une intervention de mon père et j'ai besoin de tout sauf ça maintenant.
Tony semble dépité et c'est finalement Alban qui lui résume la situation.

— Votre image ne se résume pas seulement aux réseaux sociaux et à la presse. Tant que vous serez dans le groupe, chacun de vos faits et gestes représente Nameless, mais aussi votre équipe, votre maison de disque, votre producteur.

— Je vois toujours pas en quoi ça donnerait une mauvaise image de nous, marmonne Saïd. On fait rien de mal.

C'est la première fois que j'entends sa voix depuis qu'on a quitté la scène et elle est différente de d'habitude. Plus fatiguée. Plus triste. Jamais il n'a passé autant de temps sans m'adresser la parole et je ne sais pas vraiment comment faire un pas vers lui. Il semble tellement déçu.

— Je comprends ta colère, lui répond Tony, mais certaines personnes ne voient pas les choses comme vous et moi.

Saïd hausse les épaules avant de se replacer derrière le micro. Il enregistre quelques voix, Tony est satisfait. Je réveille doucement Sofia qui s'est écroulée et l'accompagne jusqu'à son lit. Arrivé en haut, j'ai une petite pensée pour Alban, resté endormi sur le canapé, la tête dans le vide et la bave au coin de la bouche. Une fois sous la douche, je l'ai déjà oublié.

Lorsque je sors de la salle de bain, exténué, une légère brise vient caresser mon visage encore humide. Au-dessus de moi, la trappe du toit est ouverte. Je me glisse dedans en soulevant mon corps à l'aide de mes bras et découvre Saïd, assis en tailleur, le visage tourné vers le ciel.

Je m'assois à côté de lui et dépose ma tête sur son épaule. Il reste impassible. J'aimerais savoir quoi lui dire, mais je n'ai pas envie de m'excuser, car je sais que j'ai pris la meilleure décision.

— Tu penses toujours que c'était la meilleure chose à faire ? murmure Saïd dans la nuit, comme s'il avait entendu mes pensées.

— Oui, je réponds simplement.

— Pourquoi ?

Son visage se tourne vers moi, je peux le sentir à la manière dont ses muscles se tendent sous ma joue et à son souffle dans mes cheveux. Je réfléchis un moment, cherchant les bons mots, puis me redresse pour lui faire face.

— Parce que je veux pas que mon père se mêle de nos histoires. Il suit Nameless de loin et c'est très bien comme ça.

— Alors tu as accepté de faire ça, juste parce que Drew t'a menacé de nous balancer à ton père ?

Ses sourcils sont froncés, il ne veut pas comprendre. Il ne peut pas comprendre. Mon père ne doit pas savoir.

— Oui, je réponds à nouveau.

— Écoute Loup, commence Saïd, la voix plus douce. Je sais que tu ne veux pas que ton père soit au courant pour nous deux et je sais pourquoi. Mais ça fait déjà plusieurs années que ça dure. Tu ne penses pas qu'il finira par l'apprendre un jour ou l'autre ?

— On a beaucoup de chance d'être arrivés jusqu'ici. Tous les deux je veux dire. C'est seulement dû au fait que mon père ne s'est jamais intéressé à moi, sinon il l'aurait su bien plus tôt. Je sais qu'il l'apprendra probablement un jour, mais je veux pas y penser. Parce que ce jour-là, ce sera fini.

— Il te fait si peur que ça ?

J'acquiesce. Ses traits se relâchent, sa mâchoire se desserre et ses bras viennent m'envelopper pour m'attirer contre son torse. Je me laisse aller contre lui, lâchant un gros soupir de soulagement. Ce n'était pas si terrible que ça finalement. Je sais qu'il ne comprendra jamais ce que je ressens, mais je sais aussi qu'il acceptera toujours mes craintes. Quelles qu'elles soient.

— Tu penses que ton twitte va suffire à calmer Drew ?

— J'espère. Tant que ça nous permet de continuer sans avoir d'ennuis, ça me va.

— On va devoir passer notre temps à nous ignorer et nous serrer la main pour nous dire bonjour alors ?

Je ris. Il plaisante de nouveau et toutes les inquiétudes au fond de moi disparaissent. Je me laisse aller un peu plus contre lui, serrant mes bras autour de son buste.

— Seulement dans la rue, je réponds, sérieusement. Ça va, c'est pas comme si on y passait tout notre temps. Le bus est la zone safe.

— Comme la cabane quand on jouait à chat ?

— Comme la cabane quand on jouait à chat, je répète en souriant dans le noir.

— Et sur scène, ajoute-t-il.

— Sur scène ?

— Drew a rien dit concernant la scène.

— Je pense qu'on devrait quand même faire attention.

— Tu peux faire attention si tu veux, moi je choisis de vivre dans le danger.

Je lâche un petit rire, à peine perceptible. C'était surtout pour lui faire plaisir. Parce qu'en vérité, sa détermination me fait peur. Il n'est pas du genre à lâcher si facilement et ça pourrait bien nous retomber dessus. Je ne lui dis rien, car je sais qu'aujourd'hui c'était déjà beaucoup pour lui. Mais tôt ou tard, il faudra qu'on prenne plus sérieusement nos distances. Je le sais et ça me déchire déjà.

— Je m'en fous de ce que disent Drew et Tony. C'est pas un contrat qui va m'empêcher de t'embrasser quand j'en ai envie. On appartiendra jamais à personne.

— J'aimerai tellement que tu aies raison, je souffle en enfouissant mon visage dans le creux de son cou.

Il sent bon le gel douche à la vanille et ses cheveux chatouillent doucement le haut de mon front. Je ferme les yeux, la respiration lente, et mes inquiétudes me quittent à nouveau. Pour ce soir tout du moins.

*****

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LE JOUR OÙ LES ÉTOILES ONT CESSÉ DE BRILLEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant