𝘚𝘦𝘱𝘵.

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Alors ? Pourquoi tu t'es retrouvé seul à boire dans un bar de Sapporo, un mercredi soir ?

J'avais besoin de me sentir entouré.
Besoin ?
Je me sentais seul et je tournais en rond dans ma chambre d'hôtel.

Le cœur d'Amelia s'alourdit un peu en comprenant ce qui accablait le japonais, ressentant exactement la même chose que lui. Jamais elle n'aurait pensé entendre ça de sa bouche, quand bien même elle ne le connaissait pas très bien, voire pas du tout. Elle s'attendait plutôt à quelque chose comme « on m'a plaqué », « je voulais boire pour oublier » ou encore « je voulais jouir des joies de la vie ». Mais la raison de Tadashi émut profondément la brune qui envisageait maintenant de se livrer elle aussi, comme ce dernier venait de le faire avec elle.

Cependant, avant de rompre avec ses distances, elle voulut en savoir plus et comprendre la solitude du brun. Si elle pouvait faire preuve de compassion et le réconforter un peu, c'était la moindre des choses, après leur nuit. Elle lui demanda donc le plus doucement possible :

Pourquoi tu es à Sapporo ?
Je devais m'éloigner de Fujinomiya.

Le cœur d'Amelia fit un bon dans sa poitrine. Fujinomiya était une bourgade au pieds du mont Fuji, connue des touristes pour ses spots photogéniques parfaits. Et c'était la ville que la jeune femme avait visité et adoré durant son premier séjour au Japon, quand elle avait passé quelques semaines à Tōkyō. Elle en avait profité pour se rendre dans la ville et faire une excursion sur le volcan nippon.

Quelque chose me dit que tu connais cette ville ?
Je l'ai déjà visitée.
Pour le mont Fuji ?
Et pour ses yakisoba*.

Tadashi laissa échapper un petit rire attendri.

Et toi ? Pourquoi une Française est ici et pas à Tōkyō ?
Tu as reconnu mon accent ?

Depuis le début, les deux amants changeaient de langues et menaient leur discussion aussi bien en japonais qu'en anglais. Dans les deux cas, Amelia laissait involontairement son accent prendre le dessus. Elle avait appris le japonais à l'adolescence, se passionnant pour la culture nipponne, les mangas et les films d'animation. C'est en découvrant Kiki la petite sorcière en version japonaise sous-titré, qu'elle s'était mise en tête d'apprendre les basiques de la langue nippone, avant d'étendre son apprentissage dans les katakana et hiragana.

Ses cours particuliers au lycée l'avaient poussé à poursuivre jusqu'à un niveau avancé, à faire un voyage de trois semaines à Tōkyō et Kyōto et à étudier la littérature japonaise, en plus de ses cours de Lettres Modernes à l'université. Alors pouvoir pratiquer la langue des années plus tard, avec un Japonais, s'avérait être une partie de plaisir pour elle qui pouvait se permettre de jouer sur les mots et d'user des particularités de la langue.

Evidemment que j'ai reconnu ton accent. Il est mignon d'ailleurs.
T'es gentil.
Tu as l'intention de me dire ça à chaque compliment que je te fais ?
Peut-être.

L'idée de répéter inlassablement ses expressions amusait la jeune femme qui en profita pour semer le doute, et pourquoi pas, pour semer le trouble chez son partenaire d'une nuit.

Bon, et donc, pourquoi une Française a choisi Sapporo ?
J'ai déjà visité Tōkyō, pour mes études. Je voulais m'enfuir à Hokkaidō pour écrire mon roman.
Tu es écrivaine ?
Oui.
Et tu t'es enfuie ?

Le cœur d'Amelia s'emballa instantanément en se rendant compte qu'elle s'était laissé emporter par les confidences sans s'en apercevoir. Alors elle se contenta d'acquiescer avant de reprendre une gorgée de sa tasse. Cette conversation, au détour d'un café, lui paraissait soudainement bien longue.

Bon sang, pourquoi je me suis livrée aussi facilement ?

Tu t'es enfuie pour échapper à qui ? Ou à quoi ?
A ma vie en France.
Pourquoi ?

Amelia se renfrogna à nouveau, comme au début de leur conversation. Elle n'aimait pas cette curiosité chez Tadashi, quand bien même elle y percevait de l'inquiétude dans sa voix hésitante.

Dis-donc, je t'en pose, moi, des questions ?
Oui, depuis le début de notre conversation à vrai dire.

Amelia ne put s'empêcher de suivre le brun dans son petit sourire compatissant. Soulagée par l'atmosphère détendue entre eux, la jeune femme se reprit et respira calmement pour apaiser les battements effrénés de son cœur.


*Spécialités de la ville connue pour ses nouilles sautées.


[réécrit/posté le 23/06/24]

𝐀𝐔 𝐃𝐄𝐓𝐎𝐔𝐑 𝐃'𝐔𝐍 𝐂𝐀𝐅𝐄Où les histoires vivent. Découvrez maintenant