Janvier 2023 ; un jeudi matin.
Sapporo (Hokkaidō), Café La BastilleAmelia ne cessait de touiller la cuillère dans l'imposante tasse de café que le barista venait de lui servir. Pour la réveiller doucement après la nuit amochée qu'elle avait passée, elle avait demandé un sirop de noisette en supplément dans son long café noir, sans sucre. Elle avait limité les dégâts la veille en ne buvant que trois bières et deux verres de saké, afin d'éviter la gueule de bois du lendemain, mais elle n'avait pas su résister à la passion dévorante qui l'avait consumée une partie de la nuit.
Résultat ? Elle se retrouvait dans le petit bistrot juste à côté de l'hôtel dans lequel elle logeait pour ses vacances à Sapporo. Elle avait quitté en catimini la chambre de son partenaire d'un soir, avait rejoint la sienne située à l'autre bout du couloir, pris une douche et enfilé son gros pull d'hiver préféré avec sa longue jupe, une paire de collant et ses bottines, avant de sortir prendre l'air. Elle tenait à se changer les idées dans le Café La Bastille, dont le nom lui évoquait ses origines françaises.
Jamais la jeune femme aurait cru se donner à quelqu'un le temps d'une nuit, qui plus est, avec un inconnu. C'était la première fois qu'elle se conduisait ainsi et c'est bien pour cela qu'elle se retrouvait là, dans ce café non loin de l'Odori Koen*. Elle voulait dans un premier temps faire le vide, trier les informations de sa soirée et comprendre comment elle avait pu en arriver là. Puis, dans un second temps, elle se rendit compte que c'était peine perdue, puisqu'elle n'arrivait pas à démêler le vrai du faux. Elle n'avait pas l'impression d'avoir un blackout total, mais il lui semblait que certains détails lui échappaient, ou que d'autres étaient purement inventés pour se rassurer sur ses heures tumultueuses. Néanmoins, une chose tournait en boucle dans sa tête : sa rencontre avec le bel homme de sa nuit et ce qui l'avait amené à le laisser la suivre jusqu'à son hôtel.
La playlist de jazz – mélangée aux sonorités de blues et de soft rock – résonnait dans le café. Cela donnait à Amelia l'irrésistible envie d'écrire et ainsi, de poursuivre son roman en cours. Elle reconnait divers artistes et groupes japonais, tels que FIVE NEW OLD, I Don't Like Mondays., ou encore CASIOPEA. Elle les reconnaissait pour la bonne et simple raison qu'elle adorait les écouter dans son propre appartement, chez elle en France. Elle se maudit subitement de n'avoir rien pris avec elle ce matin, avant de retrouver le café pour y boire sa boisson préférée. Cependant, elle ne s'attendait pas à ressentir une grande motivation après une telle nuit dévergondée. C'est pour cela qu'elle résidait temporairement sur l'île de Hokkaidō. Elle voulait s'imprégner de l'atmosphère de Sapporo et de ses alentours, de la société japonaise et de sa culture. C'était son rêve de pouvoir vivre un an au Japon, notamment au nord du pays, ayant toujours aimé la neige et le froid de l'hiver.
Un mois venait de s'écouler, l'ayant permis d'écrire des pages et des pages de son nouveau roman, afin de donner vie à ses protagonistes. Le but était de finir son livre pour donner une suite à son éditrice, pas d'aller boire un verre, faire des rencontres et s'éprendre pour un beau japonais au sourire contagieux... Un beau japonais au sourire contagieux qui vint soudainement s'asseoir à sa table sans crier-gare, face à elle, lui aussi avec un grand café dans les mains.
Surprise, Amelia posa un regard gêné et rempli d'incompréhension, se demandant comment il avait fait pour la rejoindre, savoir qu'elle était ici et si la terre entière lui faisait payer sa nuit intime avec son amant. Les lèvres de ce dernier, fermées et merveilleusement bien dessinées, s'entrouvrirent pour laisser échapper – dans une voix mal réveillée et encore un peu grave – un simple « salut ».
*Célèbre place de la ville de Sapporo.
[réécrit/posté le 23/06/24]
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𝐀𝐔 𝐃𝐄𝐓𝐎𝐔𝐑 𝐃'𝐔𝐍 𝐂𝐀𝐅𝐄
Historia CortaAmelia et Tadashi, deux amants qui se sont rencontrés un mercredi soir dans un bar de Sapporo, se retrouvent autour d'un café, au Café la Bastille, non loin de leur hôtel, au lendemain de leur nuit qui était censée être sans lendemain.