Janvier 2023 ; un jeudi matin
― J'ai bientôt fini mon café.
― C'est ta façon de me dire que notre conversation est bientôt finie ?
― C'est ma façon de te dire que tu perdras ton pari.Elle tenait à lui rappeler le petit jeu dans lequel il l'avait entraînée. Amelia ne souhaitait pas le faire paniquer à l'idée que tout s'arrête et qu'il prenait le risque de tout perdre à l'approche de la fin. Mais elle tenait à lui rappeler de ne pas trop s'attacher, ni espérer. Et que ce moment ne durerait pas éternellement. Au fond d'elle, la brune aurait aimé que ça continue. Elle aurait adoré savoir que ce moment ne disparaîtrait jamais, qu'elle pouvait rester assise à cette table, dans le Café la Bastille, avec son bel et touchant amant.
― Tu es dure avec moi.
― Désolée.
― Je suppose que... comme on ne se reverra pas, on peut tout se dire ?Ça y est, il se fait à cette idée, pensa Amelia, ressentant pour elle ne sait quelle raison, une once de déception.
― A quoi bon ? Je t'ai dit que ça ne servait à rien, au contraire.
― Evidemment que si.
― Qu'est-ce que ça t'apporterait de tout me dire ?
― J'en ai envie.Amelia ne partageait pas son avis, mais se rappela qu'elle ne savait toujours pas vraiment les raisons qui avaient poussé Tadashi à quitter Fujinomiya. La curiosité prenant le dessus et ne souhaitant s'avouer vaincue en lui avouant ses raisons à elle de se retrouver à Sapporo, elle lui demanda :
― Très bien, alors pourquoi tu as quitté Fujinomiya ?
― Non, pas ça.
― Tu sais pas ce que tu veux.
― Si, je veux tout te dire, sauf ça.
― Pourquoi ?
― Parce que.La jeune femme avait la soudaine impression de se retrouver avec un enfant. Au fond d'elle, elle souriait, touchée, mais se garda bien de le montrer. Le japonais face à elle avait perdu le sien et ne semblait pas non plus apte à parler de ce qui le tourmentait tant. S'il avait décidé de jouer à ce petit jeu-là, à se montrer plus têtu qu'elle, c'est qu'il devait avoir ses raisons, lui qui au début de leur conversation, paraissait s'intéresser à tout et voulait tout partager.
Alors Amelia ne voulut pas insister et lui proposa une sorte de marché, se souvenant de ce que Tadashi avait entrepris avec elle, un peu plus tôt pour obtenir des réponses à ses questions.
― Si je te dis ma raison, tu me dis la tienne ?
― Tiens, on échange les rôles ?
― Alors ?
― Ça va, c'est bon. Je suis d'accord.Tadashi avait retrouvé un petit sourire amusé. Et sa curiosité.
― Pourquoi tu t'es enfuie de France ?
― J'avais besoin de changer d'air.
― Ça, tu me l'as déjà dit.Mon Dieu, qu'il a une bonne mémoire, se dit Amelia, c'est bien ma veine !
Comment lui dire que ça n'allait pas ? Comment lui avouer tout ce qu'elle avait vécu ? Comment admettre les raisons qui l'avaient amenée à se libérer de tout, de reprendre tout à zéro ? Jamais elle n'avait parlé de ses maux, à qui que ce soit. La personne la plus proche d'elle – qu'elle croyait proche d'elle – ne lui accordait plus réellement de temps, ou ne lui montrait jamais sa considération.
Amelia n'avait eu beaucoup d'amis et s'était renfermée davantage depuis la solitude qui l'accablait sans répit. Son éditrice, avec qui elle était suffisamment proche malgré leur relation professionnelle, lui avait conseillé d'essayer la thérapie. Elle avait compris à travers ses écrits, grâce à ses personnages, combien Amelia souffrait d'être seule et de vivre dans une tristesse constante. La jeune femme n'avait rien contre des séances thérapeutiques. Elle y avait même songé en mettant le point final à son dernier roman.
Waste The Night était sans doute son histoire la plus sombre et la plus mélancolique qu'elle avait pu écrire. A moins que le second tome l'était encore plus ? Elle qui le voulait plus joyeux, du moins avec un peu plus d'espoir, en avait déjà écrit une bonne moitié. Une bonne moitié triste. Et mélancolique. Amelia n'avait jamais eu d'idées noires, et c'est sans doute pour cela qu'elle ne s'était jamais sentie dans l'obligation de commencer une thérapie. Cependant, cette alternative l'effrayait, au point d'avoir retardé ce moment. Elle s'était donné un ultimatum : partir trois mois au Japon pour respirer. Trois mois pour donner à ce second tome une fin joyeuse. Et si à son retour en France, elle avait cette impression de replonger, d'étouffer, elle prendrait rendez-vous.
[réécrit/posté le 23/06/24]
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𝐀𝐔 𝐃𝐄𝐓𝐎𝐔𝐑 𝐃'𝐔𝐍 𝐂𝐀𝐅𝐄
KurzgeschichtenAmelia et Tadashi, deux amants qui se sont rencontrés un mercredi soir dans un bar de Sapporo, se retrouvent autour d'un café, au Café la Bastille, non loin de leur hôtel, au lendemain de leur nuit qui était censée être sans lendemain.