17

206 5 0
                                    

Nous nous sommes arrêtés en ville et marchons sur le remblai, la mer s'échouant sur le sable à notre gauche.
Pas mal de monde arpentent le petit centre ville et Eunwoo a remit son masque par précaution. Je décide de m'arrêter au marché qui a lieu sur la grande place de la ville.

Nous arpentons les stands de nourritures, de bijoux faits mains, et autres. Eunwoo s'émerveille devant les couleurs et les odeurs des plats provençaux.

Il achète un petit sachet de lavande en tissu tandis que je fais le plein d'olives et achète un peu de paella pour deux.
Nous reprenons notre marche dans les ruelles adjacentes à la place. Je lui raconte ce que je faisais, ci et là étant petite et les quelques histoires que je connais sur la ville.

- Et là, c'est l'ancien centre de formation nautique de mon grand-père, c'est lui qui faisait passer les permis bateaux, dis-je en pointant une enseigne à l'abandon.
- Ça n'a pas été repris ?
- Mon père n'a pas voulu vendre à la mort de mon grand-père, j'imagine que c'est trop sentimental.
- Je vois, c'est compréhensible. Il fait quoi ton père dans la vie ?
- Il était gérant d'une entreprise de maroquinerie.
- Était ?, demande Eunwoo avec appréhension.
- Il a fait une grosse dépression à la mort de mon frère, il a été contraint d'arrêter de travailler mais ça a duré tellement longtemps que son entreprise n'a pas tenu le choc et il a fini par devoir mettre la clef sous la porte. Je n'ai pas trop de contact avec lui alors je ne sais pas trop ce qu'il fait maintenant.

La mort de mon frère a provoqué une telle déflagration dans ma famille que ça l'a détruite. Mes parents n'ont pas su se soutenir l'un et l'autre. Tout ce qui sortait de nos bouches le soir, une fois que l'on se retrouvait autour de la table pour le repas familial, c'était des reproches. "Tu n'as pas su être là", "tu n'as pas fait ci", "tu n'aurais pas dû faire ça".

Je crois qu'on avait tous besoin de trouver un responsable alors que la seule responsable, c'est la maladie.
Je déplore qu'on n'ait pas su encaisser comme il faut et tenir le choc, on aurait dû être plus soudés.

Maintenant que je suis face à la boutique de mon grand-père, je me dis que c'est dommage que mon père n'ait pas repris cette enseigne. Il a toutes les connaissances et l'expérience nécessaire avec une enfance passée a crapahuté dans le port et sur les bateaux de son père.

Le bras d'Eunwoo passe sur mes épaules et nous continuons notre petite escapade jusqu'à ce que l'on décide finalement de rentrer, la brise se faisant beaucoup plus fraîche.

- Tu dois penser que ma vie est pitoyable, dis-je en regardant le paysage défiler par la vitre de la voiture.
- N'importe quoi, dit-il en pouffant.
- Tout ce que j'ai à te raconter c'est comment mon frère est mort et les dégâts que ça a causés sur ma famille.
- Ce n'est absolument pas tout ce que tu as à me raconter. Tu m'as parlé de tes amis, des choses que tu faisais dans ton enfance, tu m'as raconté beaucoup d'anecdotes, je trouve que tu as fait plein de choses intéressantes dans ta vie.
- Rien comparé à la tienne.
- Si tu dis ça par rapport à mon métier, tu te trompes!, lance-t-il.
- Bien sûr que non, tu as visité tellement d'endroits dans le monde, j'imagine que tu as rencontré énormément de gens, tu as des fans qui t'aiment partout. Je trouve que tu vis quand même une vie incroyable.
- Il y a tellement d'à-côtés négatifs dans ce monde que tu es en train de décrire que je ne vois plus du tout les choses comme ça.

Je n'ajoute rien parce que je ne veux pas qu'Eunwoo se remémore ce pourquoi il est ici, dans un autre pays, avec moi. Il semble moins triste ces derniers jours, alors je ne veux pas détruire ça.

Je lui jette un coup d'œil et souris un peu.
Il est très beau, d'une beauté inégalable, ça fait chavirer mon cœur pendant un instant. Je dois le fixer depuis un moment quand il me remarque, un sourire gêné se dessine sur son visage, sourire qu'il tente de cacher en se concentrant sur la route.

C'est là que ça me frappe, soudainement. Cette boule familière se forme au fond de ma gorge et me force à me redresser sur mon siège : la dualité de sa personnalité me fait chavirer, sa gentillesse et sa bienveillance m'enferme dans un doux cocon à chaque fois que je suis en sa présence, son innocence, qu'il ne peut pas cacher parfois, me touche.
Le constat que j'en fais est terrible : j'ai des sentiments pour lui, à tel point que je sens que la limite que nous nous sommes fixée est à deux doigts d'être franchie.

Bien sûr, je savais depuis le départ que quelque chose de fort se tramait entre nous et notre discussion sur la plage n'était pas anodine, mais j'ai cru naïvement que je pourrais arrêter ça au physique. Que nous allions pouvoir nous limiter à une amourette de passage.

Quand je regarde son visage, là, tout de suite, et que j'ai la sensation que c'est ce visage que je veux voir tous les matins, je ne sais pas si ça m'emplit de joie ou si j'ai simplement envie de prendre mes jambes à mon cou.

- Ça va ?, demande Eunwoo.

Je ne réponds pas et me raidis en tournant rapidement la tête pour fixer la route qui dévale devant moi.

- Tu avais une expression bizarre, souligne-t-il.
- Ça va, dis-je après m'être raclée la gorge, je réfléchissais.
- Et à quoi cette petite tête réfléchissait aussi intensément ?

À toi, idiot. À quoi d'autre ?

- Ma petite tête ?!, je m'exclame en faisant semblant de m'offusquer, me permettant de faire dévier le sujet.

Pour toute réponse, j'obtiens un doux éclat de rire qui vient étirer mes lèvres en un large sourire. Je suis foutue.

What's left of us - Cha EunwooOù les histoires vivent. Découvrez maintenant