Mon père m'a envoyé un message tôt ce matin pour se retrouver autour d'un petit-déjeuner. Une chance pour lui que l'envie d'affronter cette nouvelle journée soit telle que j'ai ouvert les yeux sur les coups de neuf heures.
Je mets environ une heure à me préparer alors que Rose dort toujours dans la chambre d'ami. Milo me rejoint dans l'entrée lorsque je m'apprête à sortir et je le gratifie d'une caresse avant de quitter mon appartement.
Me garer est, une nouvelle fois, une galère sans nom. Il est vrai que je préfère le confort solitaire de ma petite voiture à un bus bondé de monde mais je devrais arrêter de persister à la prendre quand je me rends en centre ville. Ce serait judicieux.
J'entre dans le café à l'adresse que mon père m'a indiqué, et une jeune serveuse me guide jusqu'à une cour arrière joliment arborée. Les murs en pierre montent haut, créant un vrai écrin de verdure apaisant en plein cœur de la ville.
J'aperçois mon père tout de suite, il faut dire que la cour est loin d'être remplie de clients. Je m'installe face à lui alors qu'il me salue.
- Tu es radieuse.
Je souris et le remercie en saisissant le menu. Je ne ressens pas vraiment d'animosité envers mon père, du moins, pas aujourd'hui, mais j'ai passé le trajet en voiture à me demander ce que l'on pourrait bien se raconter.
Beaucoup de choses nous éloignent à présent. Je ne sais pas de quoi on était faites les dernières années de sa vie, si quelqu'un la partage, s'il travaille de nouveau, de quelle façon il a soigné sa dépression, quels ont été ses exutoires face à la mort de Gabriel.
Après avoir passé commande, nous nous mettons à discuter. Les premiers échanges sont étranges et un peu tendus. Il me demande des nouvelles de mon boulot sans savoir que j'ai fait une pause pour travailler avec Paul. Il se permet de me donner quelques conseils que je reçois mal, mais il sent que je me braque alors il élude le sujet.
Je sais que je ne devrais pas, mais c'est plus fort que moi : recevoir des conseils de sa part sur la façon de gérer mon travail m'irrite. Comme une enfant frustrée, je me fais la réflexion que, si seulement il avait été là en temps et en heure, j'aurai eu ses conseils bien avant. Ce qui est d'ailleurs faux, parce qu'à l'époque, je l'aurai très probablement envoyé bouler.
Les nombreuses assiettes arrivent sur notre petite table, coupant court à ma réflexion égoïste, et je lève les yeux vers mon père : il passe sa langue sur ses lèvres en observant les plats qui s'entassent devant nous.
C'est un tic qu'il a depuis aussi longtemps que je m'en souvienne, et Gabriel avait hérité de la même façon de bouffer la nourriture du regard en humectant ses lèvres avant même d'y avoir goûté.Je souris discrètement à ce souvenir avant de me rendre compte qu'il ne me serre pas trop le cœur. Je me sens tout à coup reconnaissante d'avoir pu partager ces moments-là avec mon grand frère, à me foutre de lui pour toutes les raisons possibles, dont ce tic que je trouvais ridicule.
- Bon appétit, s'exclame mon père en croquant déjà dans un bagel au cream cheese.
- À toi aussi.Nous mangeons en silence pendant un moment et je me racle la gorge après avoir bu une gorgée de smoothie en pensant à un souvenir partagé avec Eunwoo. Mon cœur prend un rythme léger lorsque je me remémore notre journée à la plage.
- Je suis allée voir l'école de navigation de papy.
Je crois que mon paternel se raidit un peu sur sa chaise, mais je fais mine de ne pas m'en rendre compte.
- Vraiment ?, il demande en essuyant ses doigts sur une serviette en papier, c'était comment ?
- À l'abandon.Je lève les yeux vers mon père, les siens sont déjà posés sur moi et un voile s'y dépose.
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What's left of us - Cha Eunwoo
FanfictionCharlie, dont la vie se résume à trouver son indépendance professionnelle et personnelle, se voit proposer un travail inattendu. Eunwoo, perdu entre le désir de se retrouver et celui de continuer à travailler sous le feu des projecteurs, se voit co...