Nous sortons du fast food côte à côte jusqu'à la voiture et nous installons encore une fois à l'intérieur. Je ne comprends même pas ce que nous faisons encore. Il ne m'a même pas parlé.
- On fait quoi au juste Amine ? À quoi tu joues ?
- Je joue pas Alyah, j'ai besoin de te parler.
- Alors parle. M'écriais-je excédée
- On peut aller au plateau ? Pour être au calme ? ...s'il te plait.
J'ai hésité à répondre non du tac au tac mais en étudiant son visage et son regard suppliant, j'ai simplement acquiescé en tournant la tête vers la vitre. Je ne sais pas pourquoi, je n'arrive pas à passer au dessus de son acte, j'essaye d'agir normalement, de ne pas tenir compte de sa fuite mais je n'y arrive pas c'est plus fort que moi. Le fait est qu'Amine ne m'a jamais rien dû. Et il ne me dois toujours rien du tout. Mais j'ai eu l'impression qu'il avait tiré un trait sur notre famille comme ça, sans regarder derrière lui. Il m'a comme « abandonné » au pire moment de ma vie, comme ma mère en fait. Je peux comprendre, mais puis-je l'accepter ? Certainement, comme d'habitude, je peux refouler cette colère et pardonner. J'ai juste besoin de l'entendre me dire qu'il regrette. Quand je repose, mon regard sur la route, nous nous garons au niveau le plus haut du plateau. La voiture s'arrête et Amine coupe le contact.
Les secondes passent et je sens l'atmosphère dans la voiture changer, il fixe ses jambes et se gratte la barbe. Il est nerveux, il hésite, je le sens, je le sais. Je l'entends respirer plus fort avant qu'il se décide à parler.
- Je voulais te parler pour te demander pardon.
J'essaye de lui répondre mais il me coupe.
- « Ne me coupe pas s'il te plait laisse moi finir. j'acquiesce silencieusement en l'observant simplement.
Si je suis là aujourd'hui, si nous sommes là, c'est pour que tu me pardonne, que tu accepte mes excuses, je veux que tu comprennes, que tu me comprennes. Je veux que tu saches que je n'ai jamais voulu te blesser. Jamais au grand jamais je voudrais te faire du mal Alyah, en tout cas pas consciemment. Le jour de l'accident, cette nuit là, Alyah, j'ai vu ma vie défiler devant mes yeux, je l'ai vu souffrir, je l'ai vu partir Alyah. J'ai tout vu, mais je ressentais rien, je ressentais aucune de mes blessures je voulais juste savoir si il allait bien, je te promets, j'ai voulu hurler mais rien n'est sorti rien. J'ai espéré le voir en vie, j'ai cru qu'on allait s'en sortir. Quand j'ai vu l'ambulance j'ai cru qu'on était tous les deux sauvés. Et je me suis endormis.
Je fixe mes cuisses, le visage larmoyant. Voir ses mains trembler, voir son visage se tortiller de douleur me déchire le coeur. Je connais cette douleur et grâce à dieu j'ai pu surmonter cette peine. Il peine à finir son discours, les mots semblent lui bruler la gorge.
Mais, mais, quand je me suis réveillé, j'ai compris que j'avais eu trop d'espoir. J'ai perdu ma moitié Alyah, mon bras droit, une partie de mon âme, une partie de mon coeur. J'ai perdu mon frère ce soir là et j'ai même pas été là pour son enterrement. J'ai même pas pu lui dire au revoir, prier pour lui. Et tous les jours que dieu fait, chaque matin au réveil, à chaque fois que je me regarde dans la glace je me demande pourquoi lui et pas moi. Un soupire de douleur s'empare de lui, et mon coeur se brise en mille morceaux.
Et quand je te voyais, je le voyais en toi. T'étais là, toujours autour de moi à te préoccuper de ma santé et je t'ai pas vu une fois t'apitoyer sur ton sort. Je t'ai vu forte alors que moi j'avais même pas la force de parler. J'étais brisé, mort à l'intérieur. J'aurais voulu être là pour toi mais au final je t'ai abandonné comme un lâche. J'avais besoin de m'éloigner de ce quartier, de mini-brahim, de tout, de toi. Et au début j'ai cru avoir bien fait, j'ai changé d'air, je croyais commencer à faire mon deuil. Et puis tout m'est revenu en pleine face et aujourd'hui je peux même pas prononcer son prénom sans trembler, sans pleurer. J'ai compris que j'avais besoin de toi, besoin de te sentir à mes côtés parce que t'es la seule qui peux comprendre cette douleur. Mais je te supplie de m'accorder ton pardon, je te supplie d'accepter mes excuses. Je regrette de t'avoir blessé, je regrette d'avoir été égoïste, de t'avoir abandonné. Pardonne-moi. »
Et j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps, j'ai senti mon coeur se contracter, mon estomac se retourner. Je ne lui en veut même pas. Je ne lui en veut plus parce que je sais ce que ça fait et même si je me suis senti abandonnée, je l'abandonnerais pas en retour. Il est ma famille. J'ai ouvert la portière pour respirer l'ai extérieur quelques secondes. J'ai besoin de reprendre mes esprits. Je sens son corps trembloter dans mon dos, alors je sors du véhicule et je le contourne pour arriver de son coté. J'essuie mes larmes avant d'ouvrir sa porte.
- Viens, sors sil te plait.
Il sort lentement et jamais ses yeux ne se posent sur moi, jamais il ne me regarde dans les yeux.
- Regarde moi. Il le fait. Je te promets que je te pardonne, Amine, j'ai essayé de comprendre et au début je t'ai détesté. J'ai perdu mon père, enfin il m'a abandonné et t'étais là. Toi et Ibrahim vous étiez là. j'ai vécu les pires horreurs et vous avez été là, vous m'avez aidé à tout surmonter. J'ai perdu mon frère et j'ai cru que j'allais vous perdre tous les deux mais non tu t'es battu et grâce à Allah aujourd'hui tu vis encore. Al hamdoulilah, si je vous avais perdu tous les deux je serais morte, je me serais tué. Mais tu es parti et je peux te dire que tu m'as brisé Amine. Tu m'as tué mais avec le temps je t'ai pardonné et j'ai accepté parce que j'ai compris qu'on ne vivait pas les choses de la même façon. T'étais pas près de moi mais au moins tu vivais, j'avais la certitude que t'allais bien, du moins physiquement. Alors j'avais de l'espoir que tout redevienne comme avant. Je te promets de rester à tes cotés dans cette épreuve je vais t'aider à faire ton deuil mais je t'en supplie promets moi de ne plus jamais m'abandonner comme ça. Je le supplie du regard en tirant sur les manches de son t-shirt.
- Je te le promets Alyah plus jamais je te laisserais comme ça.
- Alors je vais t'aider, on va faire ça ensemble.
- Merci me chuchota t-il en respirant fortement.
Je m'approche timidement de son corps avant de plaquer ma tête contre son torse, je sens son coeur battre tellement vite que j'ai peur qu'il s'arrache. Il finit par me rendre mon étreinte, la tête pausée sur mon crâne, je le sens caresser le haut de mes cheveux, et l'espace d'une minutes le temps s'arrête et mon coeur se calme. Il a suffit de quelques minutes pour que toute ma colère et ma rancune s'échappe. Ses tremblements cessent peu à peu et son corps se détend contre le mien. Je décide alors de m'écarter de lui et de me poser sur le capot de sa voiture pour observer la vue. Je respire enfin, je me sens plus légère.
Je ne pensais pas avoir fait le deuil de mon frère mais j'avais tord. Le deuil c'est apprendre à vivre malgré la douleur et le manque et c'est ce que j'ai réussi à faire. Je l'ai fait. Le deuil ce n'est pas oublier. Il m'arrive toujours de pleurer en pensant à lui mais ce n'est plus comme avant. Malgré tout il restait une place dans mon coeur que je n'ai pas réussi à combler. J'avais perdu mon frère et mon meilleur ami avait disparu mais aujourd'hui je ne ressens plus ce vide. Pour la première fois depuis un moment, je ne ressens plus ce trou béant au milieu de ma poitrine.

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Destin
RomanceAlyah a vécu toute son enfance entourée de son grand frère et du meilleur ami de celui-ci. Une enfance bercée par les vices et la cruauté de l'humain. Entre ombre et lumière elle profite tant bien que mal de la vie dans sa petite banlieue. Mais il a...