Chapitre 1

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Chapitre 1 ~ Soupçons enfantins

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Allongée sur mon lit, je regarde le plafond, attendant silencieusement que le réveil sonne et que l'orphelinat se réveille, les couloirs et les dortoirs se remplissant des rires et cris de joie de mes frères et sœurs.

Comment font-ils pour être de bonne humeur dès le matin ? Moi-même, il me faut du temps pour me mettre enfin à sourire aux autres, à Maman et aux petits. C'est comme ça depuis que je suis née, je crois...

Doucement, je passe une main sous ma chemise de nuit pour attraper le pendentif afin de voir la photo de la femme qui a été mise à l'intérieur. La dame, qui semble très jeune, a les mêmes yeux que moi et semble avoir le même nez, la même bouche, le même sourire. Ça se peut que ce soit mon imagination qui me joue des tours lorsque je trouve ces ressemblances, comme ça peut être la vérité et que je le sais avec certitude sans savoir comment je sais ça. C'est compliqué... Des fois, je me dis que cette femme pourrait être ma mère, mais comment cela se fait-il que j'ai une photo d'elle alors que les autres ne connaissent même pas le visage ni le nom de leur génitrice ?

- Violet ! Lève toi ! On n'arrive pas à mettre nos chaussures.

Je tourne la tête et croise le regard de Phil et de Conny. J'esquisse un sourire et sors lentement de mon lit avant de m'agenouiller pour les aider avec les lacets de leurs bottines. Ils partent en courant pour suivre Emma et je lâche un soupir en me changeant tandis que j'ai l'impression que le pendentif me brûle la peau.

On toque doucement à la porte de mon dortoir, je tourne la tête en terminant de boutonner ma chemise.

- Une minute, Ray ! J'arrive dans quelques secondes.

- Il faudrait savoir, c'est une minute ou des secondes ?

- Une minute est composée de soixante secondes, donc techniquement, quand je dis que tu dois attendre une minute ou quelques secondes, cela revient au même. CQFD !

- Si tu le dis...

Malgré son air blasé, j'aperçois une lueur d'amusement dans son regard. Je souris franchement et lui fais un bisou sur la joue pour le saluer en ce début de matinée grisâtre. Il détourne le regard en rougissant légèrement avant de se mettre en route pour descendre en bas, jusqu'à l'immense salle à manger.

Je le suis tranquillement en remettant quelques mèches de cheveux bouclés en place. Ray ralentit devant la porte de la bibliothèque de l'orphelinat, comme pour s'imprégner de l'odeur de poussière, de vieux livres et de bois poli. Je le regarde faire en silence avant de lâcher un petit rire lorsque nos regards se croisent.

- Qu'est-ce qui te fait rire, Violet ?

- Rien du tout. Ou peut-être que si. Je crois que je ne comprendrai jamais pourquoi tu aimes disparaître dans cet endroit...

Il ouvre la bouche, comme pour dire quelque chose, mais semble renoncer et se remet à avancer, mains dans les poches. Je me remets en route, le suivant comme son ombre, et souris.

Même si aucun lien de sang ne me relie à Ray, je le considérerais toujours comme mon frère, même si j'aimerais parfois qu'il soit plus. J'ai trouvé une certaine ressemblance entre Maman et Ray, mais les deux m'ont regardée comme si je venais de dire vouloir devenir un dragon et ont démenti mes affirmations. La moindre ressemblance que je trouvais venait de mon imagination, alors j'ai abandonné ma théorie dans un coin de ma tête.

- Après les tests et quand j'aurai fini d'aider Maman, Emma et Gilda avec les bébés, on pourra faire une partie d'échecs ?

- Si tu veux. Je serai sûrement dehors ou dans la bibliothèque. Comme d'habitude.

- Je maintiens que tu as de drôles habitudes.

Il hausse les épaules et me jette à peine un regard. Nous descendons les escaliers et arrivons devant les portes de la salle à manger. Je me dépêche d'entrer pour aller m'asseoir près d'Emma qui nous fait signe de venir. Ray me suit avec lenteur, le visage neutre et le regard presque vide, comme chaque jour lorsqu'il contemple les autres.

Je mange en silence, jouant avec ma nourriture du bout de mes couverts, n'ayant pas très faim. J'ai toujours eu une faim d'oiseau, mais j'ai l'impression que ça s'est aggravé depuis quelques mois. A moins que ça ne fasse plusieurs années ? Je ne sais pas, et en vérité, ça m'importe peu.

En levant la tête, je croise le regard de Maman qui semble m'évaluer depuis l'autre bout de la salle. Son regard est dur, mais une lueur de regret éclaire ses prunelles, comme si elle regrettait déjà la pensée qu'elle a en ce moment en me regardant. Je lui fais un petit sourire, elle détourne le regard, me faisant froncer les sourcils d'incompréhension. Ray me regarde et suit mon regard avant de me pincer doucement le poignet.

- Fais pas attention, ça ne t'apportera rien.

- Peut-être, mais je commence à me demander pourquoi elle me regarde comme ça. Surtout que ce n'est pas la première fois qu'elle fait ça, ces temps-ci.

Je termine ma phrase et je vois Ray se crisper avant de se cacher derrière sa mèche de cheveux noirs. Je tends la main pour attraper la sienne, mais il se lève d'un coup pour commencer à faire la vaisselle avec Don tandis que les plus jeunes partent déjà dans la salle des tests. Norman me lance un regard inquiet, je secoue la tête avant de me lever pour aider Emma à rassembler les assiettes.

- Ce n'est rien, Norman, tu sais bien que Ray a toujours eu un caractère étrange et difficile à comprendre...

En essayant de rassurer Norman, j'essaye de me rassurer moi-même. De me convaincre que je n'ai pas agi de travers, que Ray ne me déteste pas. En parlant du loup, il quitte la salle à manger pour aller faire les tests. J'aide Don avec ce qui reste de vaisselle à laver avant de partir avec mon petit frère pour les tests.

Dans la petite pièce, je m'assieds à mon siège habituel, juste derrière celui de Ray. Entre deux exercices, je lui jette un rapide regard insistant, espérant que chacun de mes regards lui donnent l'impression que sa nuque le brûle. Comme une machine bien huilée, je termine chacun de mes exercices en utilisant ma logique et mon instinct, ayant confiance en mes compétences.

A la fin des tests, Maman regarde les résultats en souriant avant de regarder trois personnes, toujours les mêmes : Emma, Ray et Norman. 300 points, comme d'habitude, jamais aucune faute. Les noms défilent, je n'entends pas le mien, et les résultats continuent de baisser.

- Violet, cette fois-ci, tu as eu 150 points. Il va falloir te reprendre si tu veux être adoptée par de bons parents !

Je lève les yeux, regarde Maman puis mes frères et sœurs avant de sortir de la salle en courant, bousculant mes trois amis à qui tout réussit. Je suis fatiguée, si fatiguée, d'être en apparence parfaite et d'être médiocre à l'intérieur. Je suis un boulet pour l'orphelinat, un poids mort.

Mes pas m'amènent devant la nurserie. J'entre en essuyant les larmes qui me piquent les yeux et commence à m'occuper des bébés qui me sourient et gazouillent, remplissant la salle de leur insouciance.

Et à la fin, une fleur... || TpnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant