Chapitre 10

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Chapitre 10 ~ Une demi-tonne de larmes, ça peut peser lourd

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La date de la livraison de Conny se rapproche dangereusement. Je continue de faire semblant d'être heureuse alors que mon cœur se transforme en poussière dans ma poitrine. En parlant de ma petite sœur, elle écoute une histoire que lit Gilda dans la salle de jeux. Moi, je regarde le dessin qu'a fait Conny il y a quelques mois, ça me fait penser à la balade nocturne que j'avais faite avec Ray.

D'ailleurs, je le cherche partout depuis un moment, mais il est impossible à trouver et je commence à fatiguer à cause de ma jambe blessée. Je m'adosse au mur un moment, le temps de reprendre mon souffle, et Don passe devant moi avec l'air de quelqu'un qui cherche une cachette. Il doit sûrement être en train de jouer à cache-cache avec Phil, Thoma, Lannion quelques autres.

- Don !

- Oui ? Ah, c'est toi, Violet ! Euh... J'ai pas trop le temps de discuter, je dois me cacher ou sinon je vais me faire trouver par Jemima.

- Je te pose juste une question, ne t'en fais pas. Tu n'aurais pas vu Ray ?

Don se met à réfléchir tandis que je surveille le couloir pour voir si Jemima n'arrive pas, car je m'en voudrais si Don se faisait trouver par ma faute, lui qui est assez mauvais perdant.

- Il doit être dans la bibliothèque, sûrement... me répond-t-il.

- D'accord, merci ! Ah, et si tu veux te cacher, essaye dans la réserve près de la cuisine ou dans l'une des armoires dans les dortoirs.

- Merci, Violet !

- J'arrive ! crie Jemima depuis le jardin de l'orphelinat, faisant déguerpir Don vers l'une des cachettes que je lui ai conseillées.

En avançant dans le couloir, je croise Jemima qui court à la recherche de nos frères et sœurs, elle va sacrément vite ! Ce sera utile pour l'évasion. Je continue mon chemin en souriant, heureuse de voir à quel point les plus jeunes peuvent se montrer insouciants. Est-ce que je l'ai été quand j'étais petite ? Je ne sais plus.

J'arrive enfin devant la porte de la bibliothèque, le souffle court, et prends le temps de reprendre une respiration normale avant de pousser la porte de la bibliothèque dans l'espoir de trouver Ray.

Doucement, je m'avance entre les étagères, guettant une silhouette avec des cheveux noirs. Beaucoup de livres sont empilés à côté des étagères, comme si quelqu'un avait cherché un livre en particulier sans le trouver vu le nombre d'étagères vides.

- Ray ? Tu es là ?

Quelque chose remue près des étagères dans le fond de la salle. Je m'approche en douceur, pour ne pas effrayer mon ami - j'ai l'impression de parler d'une bête sauvage -, ma béquille toque contre le parquet tandis que j'arrive enfin du côté où se trouve mon noiraud.

Je l'observe en silence, c'est la première fois que je le vois dans cet état : il est roulé en boule, couché sur le parquet, des livres le recouvrent, comme pour essayer de le cacher. Et puis, il y a le bruit des pleurs qu'il tente d'étouffer pour éviter de troubler le silence.

Finalement, je m'approche, me sentant mal de le voir comme ça, et m'assieds maladroitement à côté de lui en posant ma béquille au sol car je n'en ai pas besoin. Je tends une main et enlève un à un les livres qui cachent Ray, prête à me stopper au moindre geste qui me dirait d'arrêter.

- Ray, dis moi ce qui ne va pas.

- Laisse-moi tranquille...

- Hors de question !

Il tourne sa tête vers moi pour me regarder à travers ses pleurs. Ses yeux sont légèrement rougis et embués de larmes, ses cheveux tombent en travers de son visage. Cette vision me fend encore plus le cœur que la première.

Prise d'une pulsion, je l'attrape en douceur et le tire vers moi pour un câlin, un très long câlin, car il en a besoin. Je lui caresse doucement le dos pour l'aider à se calmer et il cache son visage dans mon cou. Ray a l'air fatigué de la vie...

- C'est à cause du futur départ de Conny, n'est-ce pas ?

- Oui...

- Ce n'est pas ta faute. Tu es un enfant, tu ne peux pas sauver chaque âme qui passe dans ton champ de vision alors que tu as déjà du mal à sauver la tienne !

Il reste silencieux et s'accroche à moi comme si j'étais une bouée de sauvetage. Je le serre contre moi tandis que la porte de la bibliothèque s'ouvre en grinçant.

Après quelques minutes, Maman apparait près de nous, sa montre à gousset à la main, et nous observe en silence comme je l'ai moi-même fait en découvrant Ray un peu plus tôt. La mère et le fils, et entre eux, une étrangère.

- Vous savez, une demi-tonne de larmes, ça peut peser lourd.

- Je sais, Violet, je le sais plus que quiconque... lâche Maman avant de ramasser les livres au sol pour les ranger à leur place dans les étagères.

- J'aimerais vous parler, un jour, que ce soit dans trois jours ou trois semaines.

- Tu dis "vous", maintenant ? C'est nouveau. Fais attention, il s'est endormi.

En effet, Ray semble peser bien plus lourd à présent, j'essaye de l'installer plus confortablement contre moi.

- Maman, si tu dois me faire livrer après Conny, j'aimerais au moins avoir toute mon histoire de complète pour partir sans regret.

Cette femme qui m'élève depuis la naissance perd son sourire en voyant que j'ai fini par comprendre tous les sourires qu'elle me lançait depuis plusieurs semaines. Elle hoche la tête, caresse mes boucles violettes et repart car j'entends quelques petits l'appeler à l'extérieur.

Ray s'accroche fermement à moi et je lâche un soupir triste. Je vais devoir cacher ma livraison à mes amis et me faire à l'idée qu'ils s'échapperont sans moi, car j'ai calculé et l'évasion ne saura pas se faire avant ma mort.

- J'espère que j'aurais au moins le temps de te dire "je t'aime"... Sinon, ce sera mon plus grand regret...

Et à la fin, une fleur... || TpnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant