Chat-pitre 11

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Si je n'avais pas été si loin à pied, j'aurais volontiers marché pour rejoindre l'animalerie. Cela m'aurait aidé un peu à décolérer. Hélas, je me suis contenté de rejoindre la gare du coin pour arriver à l'heure. Enfin, à l'heure... j'ai dix minutes de retard. Pourtant, le train était en avance.

Ma fureur ne s'est pas apaisée, je me sens tendu à craquer. Dans le train, j'ai dû rester immobile, la tête penchée, pour ne pas exploser. Je crois que la femme qui a vérifié mon billet a eu peur de moi à cause de mon allure. Connard de Baji. Sale connard de Baji. Je ne comprends pas pourquoi ma colère est si violente, mais je me sens vraiment à la limite de craquer. J'ai envie de m'en prendre à tout le monde. C'est horrible. Je suis un monstre.

Je me retrouve devant la porte de service de l'animalerie, celle réservée aux employés. Il faut que j'entre. Il faut que j'entre, que je fasse semblant d'aller bien, que je sois aimable avec les clients. Il le faut. J'en ai pas envie, putain ! Qu'il aillent tous se faire foutre, merde ! Je tourne en rond devant la porte, je n'arrive pas à la franchir. Je vais me prendre un avertissement. Je suis déjà en retard, de toute façon, autant traîner... Ma patronne va s'énerver, c'est mon troisième retard depuis le mois d'août. Mais qu'elle gueule, on s'en fout...

Je vais me faire virer. Je vais me faire virer et je vais de nouveau finir dans la merde financière. C'est déjà difficile, je vais vraiment être dans la merde, je ne vais pas pouvoir subvenir à mes besoins et à ceux de mes chats, ce sera une véritable catastrophe. Je vais encore devoir déménager. Putain, je ne peux pas me permettre cela.

Je serre fortement les dents, c'est douloureux. Je pose ma tête contre le mur de béton, j'y abats violemment la tranche de mon poing fermé. Je ne peux pas faire cela. Je dois entrer dans cette foutue animalerie, tout de suite. Un quart d'heure de retard. Je suis le seul employé à être en retard depuis mon recrutement. Je vais me faire virer. Je vais me faire virer, putain. Je me sens beaucoup trop mal pour jouer les vendeurs modèles mais je n'ai pas le choix. Je frappe le mur de mon poing. Je dois y aller, je dois y aller, je dois y aller...

La porte s'ouvre vivement à ma gauche, je me mords la langue. Super. Absolument génial. Il ne manquait plus que ça. Je reste immobile. Inutile de me redresser bêtement en sursaut. C'est trop tard. Qui que soit la personne qui vient de sortir, j'éprouve malgré moi une haine violente envers elle. Casse-toi, putain, laisse-moi. Sur le goudron, ses pas pressés se stoppent.

- Mais... qu'est-ce qui t'arrive, Chifu ?

Oh, non. Pas Nahoya, par pitié. C'est bien le seul a avoir été aussi gentil avec moi. Je ne veux pas qu'il subisse mes foudres. Pas lui. J'écarte ma tête du mur, j'y appuie la paume de ma main en fixant le sol. J'ai envie de lui hurler combien je me sens mal. Il ne m'a rien fait, putain, je ne peux pas lui parler comme ça.

- Rien du tout.

Mes mots sonnent creux. Ma voix trahit la lourde tension que je ressens. Nahoya, je t'en supplie, laisse-moi tout seul. Je ne veux pas que tu me voies comme un connard, toi aussi. La porte est toujours ouverte, j'entends vaguement des conversations de clients ainsi que les divers bruits des animaux qui vivent ici. Cela m'énerve.

J'entends Nahoya s'écarter un instant pour déposer je ne sais quoi dans les bennes qui longent une partie du mur, puis il vient vers moi. Non, dégage ! Je respire rapidement. Je vais craquer, je le sens, je vais craquer. Je vais m'emporter et le regretter amèrement. Je m'empresse de prendre la parole.

- Laisse-moi, Nahoya.

Je meurs d'envie de hurler. J'en ai la voix qui tremble. Putain de pression.

- Chifu, qu'est-ce qui s'est passé ?

Une vie animée | Baji x ChifuyuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant