Chat-pitre 16

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Il n'est pas là. Ce con n'est pas là. Je suis assis à une table au fond de la salle, Draken fait des aller-retours du comptoir à la réserve. Pachin est en train d'emplir un bac de glaçons, quelques employés arrivent en me lançant au passage des regards curieux. J'attends, je patiente depuis un quart d'heure, mais cet abruti de patron tout sauf exemplaire n'a pas pointé le bout de ses incommensurables canines. En réalité, je ne suis pas tellement en colère contre Baji, je suis seulement très nerveux et m'énerve contre lui pour décharger mon stress.

Je pianote sur la table, à côté de mon verre. Draken a insisté pour m'offrir un diabolo-fraise pour patienter, il s'est souvenu que je ne buvais pas vraiment d'alcool. Ça fait très "boisson pour enfant", mais à l'heure actuelle, ça ne me dérange pas le moins du monde. C'est la dernière de mes préoccupations. Je n'avais pas envie de boire, à la base, mais Pachin a lancé depuis la réserve que boire était un bon moyen de patienter. Du coup, j'ai fini par demander une paille en spirale à Draken et me voici, tout seul à une table, avec mon diabolo-fraise aux glaçons fruités et ma paille rose.

Ils vont ouvrir dans une dizaine de minutes, je n'ai pas envie de finir noyé dans une foule. Mais que fabrique Baji ? Il fait une sieste ? Il téléphone encore à sa mère ? Il se tripote ? Il se bagarre ? Il a trouvé un autre enfant évanoui devant chez lui ? Il a simplement la flemme, cet enfoiré ? Je porte ma paille à mes lèvres et avale quelques petites gorgées. J'aimerais mieux fumer, mais le goût sucré et les bulles comblent légèrement cette envie. Très légèrement, mais c'est mieux que rien.

Je lève les yeux chaque fois qu'une silhouette passe devant le bar, soit toutes les cinq secondes, mais jamais je ne vois Baji. À un moment, je l'ai confondu avec une femme à cause des longs cheveux noirs. Ça m'est arrivé beaucoup de fois dans ma vie. Je soupire d'impatience, mon pied frappe le sol par tic. Ramène-toi, Baji, j'ai besoin de toi, sale con.

À cinq minutes de l'ouverture, mon verre terminé, je me redresse un peu. Avec le faible recul, je commence à me raisonner. Je ne peux pas attendre Baji à son lieu de travail pour lui annoncer de but en blanc ce qu'il vient de m'arriver. Il va être retardé et perturbé dans son service, il va être inquiet, je vais lui pourrir la soirée.

Non, je vais attendre. Je vais rentrer et réfléchir à tout ça, puis n'en avertirai Baji que demain matin. Oui, c'est mieux ainsi. Il aura le temps de digérer l'information en journée, il ne sera pas chamboulé juste avant de travailler puis de dormir. Mince, je fais vraiment n'importe quoi. Je me précipite dans les bras de Baji pour me consoler sans penser à sa propre situation, je suis égoïste. Quel imbécile. Je dois apprendre à gérer mes ennuis sans les mettre sur les épaules de Baji. Je me relève, dépité, et amène mon verre sur le comptoir, devant Pachin.

- Merci pour la boisson.

Il sourit en attrapant le récipient.

- Y a pas de quoi, bonhomme. Tu t'en vas ?

- Oui... je vais rentrer chez moi, je verrai Baji plus tard. Ce n'est pas urgent.

- Ça roule. Ça va, hein ? T'as pas l'air sur ton trente-et-un, p'tit gars.

J'esquisse un sourire.

- T'es gentil, Pah. J'ai juste eu une grosse journée, je suis un peu fatigué.

- Bon, alors c'est cool. Repose-toi bien, hein ? Et hésite pas à repasser !

Je fais signe à Pachin, qui me le rend, et pivote pour gagner la sortie. Je pose la main sur la poignée, une voix me hèle.

- Hé, Chifuyu ! lance Draken depuis le couloir de la réserve. Tu peux mettre l'écriteau sur Ouvert en sortant ?

- Tout de suite, patron, dis-je en retournant le petit panneau.

Une vie animée | Baji x ChifuyuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant