* Bonus n°1 *

444 25 15
                                    

L'odeur du sang. Le crépitement des flammes. Les tintements macabres des épées et le bruit des corps transpercés. C'était maintenant ce qui entourait Jiang FengMian.

Quand il était parti du Quai des Lotus, après une énième dispute avec son épouse, le calme et l'harmonie semblaient régner.

Jolie, mais éphémère illusion.

Il n'avait fallut que quelques heures pour que la paix et l'odeur des Lotus fleuris deviennent guerre et hurlements des blessés.

Il se battait, sans vraiment y penser. Pour ses fils. Pour sa fille. Pour son clan. Pour sa femme. Il n'avait pas le temps de réfléchir à la famille de ceux qu'il tuait, aux vies qu'il arrachait de ses mains.

Les Wen avaient attaqué. Pourquoi ? Il ne pouvait plus se poser cette question. Plus maintenant. On ne réfléchit pas quand on doit tuer un homme, sinon, c'est nous qui mourront. Pas de place pour les sentiments et les remords sur un champ de bataille, c'était la règle implicite que chacun connaissait.

Ne pas réfléchir.

Cette pensée, qui étouffait toutes les autres, qui les plongeait dans l'ombre pour garder sa place à la lumière.

Jiang FengMian est comme engourdi par toute cette mort et cette violence qui l'entoure. Il avait cru à la paix. Et elle s'était révélée aussi immatérielle qu'un voile masquant la vérité. Un superbe mensonge, mais toujours faux.

Après l'étourdissement vient la douleur. L'épée qui s'enfonce dans son épaule et qui le fait tomber, sans comprendre. Il lui faut du temps pour enregistrer les évènements. Je vais mourir.

Le rire gras d'un homme qui ne mérite même pas qu'on le voit, et un hurlement, qui perce le brouillard dans lequel la souffrance l'enveloppe progressivement. Un hurlement qui déchire une voix qu'il ne connait que trop. Il ne capte pas ce que la voix dit. Son nom peut-être.

Le brouillard est revenu, l'enveloppant comme s'il voulait le protéger du monde. Il ne comprend plus. La seule chose qu'il sait, au plus profond de son âme, c'est que la voix qui hurle, c'est celle de la personne qu'il a le plus aimé. Un amour qui signifiait "colère" mais un amour véridique, qui derrière chaque "je te méprise" voulait seulement dire "je t'aime".

Il sent que la mort arrive. Et pourtant il sourit. Il sourit et il pleure. Les larmes roulent. Pourquoi ? Parce qu'il se rend compte que la vie n'est qu'un amas de regrets et de remords qui s'entremêlent. Il ne lui a jamais dit tout haut ce qu'il pensait tout bas. Tu es la seule. Il ne sait plus pourquoi. Il aurait dû le faire. Mais maintenant c'est trop tard.

Tout allait bien entre eux au début, malgré certaines difficultés. Il se souvenait des sourires, et des rougissements quand ils se frôlaient. Un mariage entre deux enfants au caractère opposé.

Un souvenir remonta à la surface de son esprit embrumé, comme une bulle qui s'échappe d'une eau trop sale.

Ce n'était plus très net, un peu flou, trop vieux.

Il savait qu'ils avaient déjà un enfant. Une petite fille, tellement belle qu'elle les avait séparés, sans le vouloir. Peut-on être jaloux de son propre enfant ? Sûrement.

Il savait qu'ils se haïssaient le jour, derrière le vernis de la politesse que se doit un couple marié qui ne s'aime pas, mais que la nuit, quand ils se retrouvaient, quand il allait la rejoindre dans ses appartements, haine devenait amour, aussi rapidement qu'une pièce qu'on retourne.

Ils pouvaient ne plus penser à leurs responsabilités, à leur image, à leur vision du monde tellement différente qu'elle les déchirait. Ils n'étaient qu'eux. Deux jeunes gens qui se découvrent et qui s'aiment silencieusement, sans les mots. Un jeu de regards qu'eux seuls pouvaient comprendre.

Au moins jusqu'à demain [TERMINÉE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant