Chapitre 1 - La famille Mèinn

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Édimbourg, 5 septembre 1865


- Venez acheter mon poisson ! Pêché ce matin dans le Forth ! Hurlé-je à pleins poumons.

Plusieurs passants défilent devant moi depuis maintenant trois heures, sans rien m'acheter. Pourtant, je n'abandonne pas. Il faut bien nourrir ma famille ! Je lève la tête vers le ciel, constatant que de gros nuages noirs passent juste au-dessus de moi. J'espère seulement que la pluie ne les accompagnera pas. Il ne manquerait plus que ça, cette journée est déjà bien pourrie...

J'ai eu vingt-trois ans, il y a peu, et je suis le premier enfant du clan Mèinn. Avec mes cheveux légèrement roux, et de grands yeux verts, je ressemble en tout point à mon père, Ailig. C'est un homme large et costaud, qui inspire le respect dès qu'on le regarde. Sa voix, grave et rauque, impressionne. Avec lui, je n'en mène pas large, et au moindre écart, il me tombe dessus.

- Aonghas !

Je me retourne vivement, et aperçoit mon paternel au loin, rapportant un cageot de poissons. Il le dépose lourdement à mes pieds, et passe son avant-bras sur son front, essuyant ainsi la sueur qui commence à dégouliner le long de son visage.

- Il y a encore tout ça à vendre, s'exclame celui-ci.

- Mais... On ne m'a acheté aucun poisson depuis ce matin, avoué-je, en soupirant tristement.

- Laisse, je vais m'en occuper ! Va ranger ça sur notre étagère, dit-il en désignant le cageot d'un signe de tête furtif.

- Bien, père.

J'attrape les poignées, soulevant la cagette et son contenu avec difficultés. J'emprunte ensuite le chemin vers les souterrains de la ville, là où de nombreux marchands entreposent leur stock. L'étagère de notre famille porte le numéro douze et, heureusement pour nous, se trouve non loin de la surface. Dieu sait que plus on reste à l'intérieur longtemps, plus les problèmes de santé apparaissent rapidement. En effet, il y fait humide et sombre. Les caves sont réparties sur quatre niveaux, dont cent-vingt pièces individuelles. Étrangement, la police n'ose y mettre les pieds, car il s'y passe des choses surprenantes. On dit même que, la nuit, certaines activités illégales s'y déroulent.

Je m'avance sur le chemin, et croise ma mère ainsi que ma jeune sœur, assises près de l'entrée des caves.

- Papa est revenu de la pêche, informé-je. Mais, nous n'avons rien vendu ce matin.

Lili, ma mère, lève au ciel ses yeux noisette, puis pousse un soupir.

- Nous n'y arriverons donc jamais...

- Ne t'inquiète pas, mère. C'est juste un mauvais moment à passer, assuré-je en descendant un peu plus dans les caves.

Cela fait déjà deux ans que je ne cesse d'affirmer « c'est juste un mauvais moment à passer ». Mais rien n'avait changé. Notre famille commence sérieusement à perdre espoir, d'autant plus que, nombreux sont les marchant qui affluent à Édimbourg. Je refuse de penser que nous n'en sortiront jamais. Pour moi, la roue tournera bientôt, et le clan Mèinn verra le bout du tunnel !

Plus je descends, et moins la lumière me guide. À chaque fois que je vais dans les souterrains de la ville, j'ai peur de me perdre, car ces derniers sont de véritables labyrinthes ! J'ai même failli me perdre de nombreuses fois, au début.

Lorsque j'arrive devant notre étagère, je laisse tomber ma marchandise, en lâchant un juron.

- Ah non ! Merde !

Cette dernière est totalement inondée, et le reste des poissons entreposé a disparu. Je donne un énorme coup de pied dans le cageot puis pousse un hurlement qui résonne dans toute la cave. Il ne manquait plus que ça ! On nous a volé le restant de nos marchandises ! Tout ce dur labeur, pour en arriver là ? mais qu'est-ce que le futur nous réserve, à ce tarif-là ?

Tandis que je me penche pour reprendre sa cagette, mes chaussures s'enfoncent dans la boue à l'odeur nauséabonde. Non seulement ces souterrains sentent l'humidité, mais aussi le sang et la moisissure. Et dire que certaines personnes dorment dans les sous-sols, à défaut de mieux. Je remonte à la surface, et jette un regard à ma mère, alors que ma petite sœur revient du marché avec une pomme légèrement flétrie.

- Nous n'avons plus de réserve, mère, annoncé-je en passant la main dans mes cheveux en bataille.

Je tente de dissimuler ma colère, en vint. Mes poings se serrent, et ma mère s'en rend compte.

- C'est une plaisanterie ? s'exclame celle-ci en se redressant difficilement, due à son pied-bot.

- Les caves sont inondées. Et puis le reste a été volé !

Elle affiche un air désespéré tandis que Siùsan, qui a eu à peine dix ans, se serre contre elle. Celle-ci marmonne un très léger « maman ? » avant que cette dernière ne se mette à fondre en larme.

- Ne t'inquiète pas, mère, rassuré-je en posant sa main sur l'épaule ma mère. Regarde donc, il nous reste ce cageot !

- Mais jusqu'à quand, Aonghas ? Jusqu'à quand ? Hurle celle-ci, pleurant de chagrin.

Ses mains sont tremblantes, et son regard devient fuyant. Je fais la moue, essuyant du pouce les larmes de notre pauvre mère.

- Fais-moi confiance, mère. Je te promets que je vous sortirai de cette misère. Laisse-moi juste le temps. 

Rosa Atque Immortalis (AUTOEDITION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant