Chapitre 10 - La Vieille Ville

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Édimbourg, 16 octobre 1888

Elsie

Il est presque dix-neuf heures lorsque nous arrivons à la gare d'Edimbourg. Je m'attends à trouver les quais remplis de monde, mais cette fois encore, il n'y a personne. Je suis Anna jusqu'à la sortie du wagon, puis nos chemins se séparent au moment où nous arrivons sur le quai. Elle se tourne vers moi afin de me serrer la main.

- À bientôt j'espère, Elsie.

- Merci à vous, Anna. Passez une bonne soirée.

Puis, je tourne les talons et me dirige vers le hall. À la sortie de la gare, j'aperçois un plan de la ville, et je m'attarde devant ce dernier pendant au moins cinq bonnes minutes. Où dois-je aller ? Je prends note des hôtels les plus proches et garde en tête le nom du Lunar Raven Hotel. Il se trouve à dix minutes à pied de la gare. Je me dépêche, car la nuit commence à tomber. Tenant ma valise à deux mains, je hâte le pas jusqu'à l'hôtel. Je me maudis d'avoir oublié mon parapluie, à l'instant où je sens des gouttes s'écraser sur le haut de mon crâne. De plus, je commence à avoir froid. Mes lèvres et mes mains se mettent à trembler frénétiquement.

Lorsque j'arrive devant l'immense bâtisse, je me rends compte que celle-ci est collée à un pont. Je lève les yeux, et regarde la pancarte avec une certaine attention. South Bridge. Quel agencement étrange... Soulagée d'avoir trouvé un endroit chaud et sec, j'ouvre la porte et un bruit de clochette retentit. Une dame arrive au comptoir, et m'invite, d'un signe de la main, à m'approcher. Dans un même temps, mon regard parcourt le hall minuscule. Une tapisserie mauve qui me pique les yeux orne les murs, alors que des portraits d'animaux sont accrochés de part et d'autre de la pièce. Je dois avouer que ce style laisse à désirer...

- Bonsoir, murmuré-je. Il me faudrait une chambre, s'il vous plait.

Elle ouvre son carnet de réservation, puis redresse la tête.

- Vous avez de la chance, il m'en reste une. C'est dix shillings la semaine.

- Oh, d'accord.

Je crois que j'aurai tout juste assez pour une semaine. Il va falloir que je me trouve un emploi, et rapidement ! Je lui donne alors de quoi rester quelques jours, puis elle me tend les clés de la chambre. J'emprunte les escaliers, cherchant la chambre numéro 15. J'introduis la clé dans la serrure d'une main tremblante, la tourne, et entre dans la pièce. Epuisée, je m'écroule sur le lit, en poussant un long soupir. Je n'ai qu'une envie : dormir ! Je me redresse, retire mon manteau, le posant sur le dossier d'une chaise dans un coin de la chambrée, et me blottit sous les couvertures. Une longue journée m'attend demain, et je m'endors aussitôt. 

***

Aonghas

Il pleut, cette nuit encore. L'eau infiltre les caves, et du calcaire se forme sur les parois. Obligé de monter au deuxième niveau, je hâte le pas. Je dois dire que je préfère rester loin de la surface, car il m'arrive de croiser certaines prostituées en plein travail. Leur hurlement peut parvenir jusqu'au troisième niveau. Et dire que des enfants ne dorment pas loin de l'endroit où se déroulent ces actes immondes... Je me remémore qu'une nuit, alors que je guettais ma prochaine victime, une travailleuse du sexe était en plein ébat, avec son fils à côté d'elle. Au moment où elle avait le dos tourné, en train de se faire enfiler par-derrière, j'avais emmené le pauvre garçon plus loin, et je me souviendrais toujours du regard qu'il avait porté sur moi. De la peur, du dégoût. Il me suppliait de le sortir de cette vie, de ce quotidien infernal. J'avais retiré le bandage qui dissimulait ma bouche, et avait enfoncés mes canines dans la chair du garçon. Il n'avait pas hurlé... aujourd'hui encore, je me demande s'il avait eu mal. Une fois repu, j'avais laissé le corps là, et une semaine après il a été retrouvé par sa mère et un de ses clients.

Caché dans un coin sombre du tunnel menant au premier niveau, j'attends, telle une araignée guettant son prochain repas. J'entends soudainement un bruit venant dans ma direction. Scrutant l'obscurité, je pousse un soupir en me rendant compte que ce n'est qu'un rat... Il ne me nourrira pas, mais sans doute me calera-t-il un creux dans l'estomac. Je le saisis par la tête, et tranche net son cou avec mes canines. Les bonnes chaires se font de plus en plus rares, et cela m'inquiète. Je n'ai pas spécialement envie d'attendre la nuit tombée pour aller me nourrir à la surface. La lumière du soleil me brûle la rétine, et même si le Seigneur m'avait donné la possibilité de sortir en plein jour, je ne prendrais pas ce risque. Le monde n'a pas besoin de voir le monstre qui habite dans les caves d'Édimbourg.

Une fois repu, je lance ma proie de l'autre côté du tunnel. Celle-ci finit sa course contre un mur, avant de s'écraser sur le sol. Même les rats, je ne les respecte plus. Pourtant, les premières semaines ayant suivi ma transformation, ces nuisibles étaient ma première source de nourriture.

Tandis que je m'enfonce un peu plus dans les tunnels, des voix de femmes me parviennent aux oreilles. Elles semblent rire, à en croire l'intonation de leurs voix. Je sens leur parfum d'ici : elles sortent tout juste du Pub d'à côté. Je déteste lorsque le sang déborde d'alcool ! Cette nuit encore, je crois que je vais rester le ventre vide. 

Rosa Atque Immortalis (AUTOEDITION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant