Chapitre 8 - La fuite

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Londres, 15 octobre 1888


Elsie

Je quitte la salle à manger d'un pas pressé, rejoignant ma chambre le plus vite possible. Je retiens mes larmes aussi longtemps que je le peux, mais une fois dans mon lit, j'éclate en sanglots. Elle a raison : cette fois, je ne peux plus rien faire ! Je hurle à plein poumon dans mon oreiller, expulsant toute ma haine.

Je sens soudainement une main me caresser les cheveux, et lorsque je lève le regard, j'aperçois Louise. Ses yeux sont aussi rougis que les miens. Je n'ai aucun doute sur le fait qu'elle a entendu notre conversation.

- Mademoiselle...

- Je ne veux pas partir, Louise... murmuré-je en me redressant tout en essuyant mes larmes.

- Je suis désolée, je n'aurais pas dû vous écouter...

Je secoue la tête, lui montrant que son geste m'importe peu. Je m'avance vers elle et la serre contre moi. J'ai besoin d'affection, d'être écoutée. Je ravale mes sanglots et mets fin à notre étreinte.

- Louise... Tu es mon amie, n'est-ce pas ?

- Bien sûr, Mademoiselle !

- Alors, aide-moi ! Je dois quitter cette maison avant demain !

Elle écarquille les yeux, tout en s'éloignant de moi. Je vois des larmes couler le long de ses joues pâles tandis que ses lèvres rouge sang se mettent à trembler. Je sais que cette fois je lui en demande beaucoup, mais j'ai besoin d'elle. Je pose mes mains sur ses avant-bras et chuchote :

- Je refuse de me marier avec cet homme malgré sa bonne situation. Louise, ce soir, aide-moi à partir, je t'en conjure.

- Et si votre mère me réclame la raison de votre absence ? s'affole mon amie. Que dois-je lui dire ?

Je réfléchis un instant. Ma mère est loin d'être idiote et sait pertinemment que je m'entends bien avec Louise, que je la considère plus comme une amie que comme ma servante. Je dois la jouer finement, si je ne veux pas que Louise se fasse réprimander par ma faute.

- Je vais écrire une lettre à ton intention, dis-je après un instant de réflexion. Quand tu te réveilleras, tu la montreras à ma mère. Entendu ?

Louise hoche la tête sans broncher tout en essuyant ses larmes. Je sais que partir lui provoque de la peine mais je me garde de lui dire que je lui enverrai souvent des lettres, sous un pseudonyme. J'inspire longuement et me penche pour saisir la valise se trouvant sous mon lit. Je passe ma main dessus, retirant toute la poussière accumulée de ces dernières années et la pose lourdement sur mon matelas.

- Nous allons la faire ensemble, dis-je à ma servante avec un sourire.

- Je crois que je ne me ferai jamais à votre absence, Mademoiselle, se confie cette dernière.

- Ne t'inquiète pas, Louise. Fais-moi confiance.

Elle hoche la tête, et m'aide à faire ma valise. J'en profite pour lui dire tout ce que j'ai sur le cœur : la façon dont je me sens prisonnière de cette maison, le fait que ma mère ne me laisse jamais le choix... mais je pense que, tout ça, elle le savait déjà. Il est rare que je me dévoile, mais cette fois, je dois prendre une décision. Je regarde autour de moi, tandis que je remplis ma valise. Dire que je vais quitter cette chambre avec cette immonde tapisserie rose bonbon. On peut facilement deviner que c'était le choix de ma mère, lorsque je ne pouvais pas encore donner mon opinion. Elle a toujours eu de mauvais goût.

Une fois la valise faite, et le soir venu, je descends dîner. Ma mère est déjà attablée lorsque je la rejoins. Je me pose en face d'elle, et me racle la gorge.

- Bon appétit, mère, dis-je d'une voix morne.

- De même, réplique-t-elle sur le même ton en saisissant ses couverts avant de les planter dans sa tranche de rôti à peine cuite.

Je dois avouer que je n'ai pas faim ce soir. Cependant, je ne voudrais pas mettre notre cuisinier mal à l'aise en jouant celle qui refuse de toucher à son assiette à cause d'un mal de ventre, pour la simple et bonne raison qu'il y a de nombreux enfants qui meurent de faim dehors. Il serait donc irrespectueux de jeter tout cela à l'extérieur. Je remplis donc mon assiette, et mange tout ce qui m'est possible, jusqu'à n'en plus pouvoir. Du coin de l'œil, j'aperçois ma mère qui me regarde d'un drôle d'air. Mi-étonné, mi-dégoûté. Je m'essuie la bouche, redresse le menton, et me tourne vers Lewis.

- Tu pourras dire à Edgard que le dîner était excellent, chuchoté-je.

- Je n'y manquerai pas, Mademoiselle, me répond-il avec un bref sourire.

Une fois le repas terminé, je me lève de table, et adresse une révérence à ma mère.

- Je vais me coucher. Je dois me lever tôt demain, n'est-ce pas ?

- En effet, rétorque celle-ci en s'essuyant la bouche avant de reposer la serviette sur ses genoux.

- Vous serez là pour mon départ ?

Elle se tourne vers moi, en haussant les sourcils. Je ne sais pas vraiment à quoi m'attendre comme réponse... Je reste interdite quelques instants, voyant qu'elle ne me répond pas. Puis, lorsque je décide de quitter la pièce, je l'entends se lever, et prononcer :

- Bien sûr que je serais présente. Tu restes ma fille.

C'est qu'elle me tirerait presque une larme. Je ne dis rien, et emprunte les escaliers menant à ma chambre. Je me change à la hâte, et plonge dans mon lit. J'ai bien évidemment pris soin de rédiger la lettre avant de descendre dîner. L'ayant dissimulée sous mon oreiller, je la saisis et la relis une dernière fois. Parfait ! Je la donnerai à Louise lorsque je quitterai la maison. Une fois la bougie éteinte, je ne tarde pas à trouver le sommeil.

***

- Mademoiselle ! Il faut vous réveiller !

Je gémis tout en ouvrant les paupières. Louise est penchée au-dessus de moi, un chandelier dans la main.

- J'ai été vous chercher un fiacre, il vous attend en bas.

Tandis qu'elle saisit ma valise, je me redresse et quitte le lit, toujours en chemise de nuit.

- Personne ne t'a entendue ? demandé-je, inquiète.

- Non, Mademoiselle. J'ai pris soin de rester discrète, m'assure mon amie.

- Bien. Hâtons-nous !

Il est plus simple pour moi de me vêtir de mon long manteau, avant de quitter la maison. Je n'ai absolument pas le temps d'enfiler une robe, et le cocher m'attend ! Je choisis des chaussures à talons plats, afin de ne pas me faire mal au pied durant ma fuite, puis je rabats ma capuche sur le haut de ma tête. Je suis prête. Je descends les escaliers, suivis de Louise, portant ma valise. Nous prenons soin de ne faire aucun bruit, et, alors que je m'apprête à ouvrir la porte, la main de mon amie s'empare de mon poignet. Je me tourne vers Louise, qui pleure déjà.

- Prenez soin de vous, Mademoiselle. N'oubliez pas de m'envoyer de vos nouvelles...

- Je te le promets. D'ailleurs, tiens.

Je lui donne la lettre qu'elle met dans son corsage. Elle me tend ensuite mes affaires, puis je quitte la maison après lui avoir demandé de rester à l'intérieur. Je passe le portail en fer forgé, et entre dans le fiacre, en ordonnant au conducteur de m'emmener à la gare de St Pancras. Je jette un dernier regard vers la fenêtre, et aperçois la silhouette de mon amie. Cette fois, impossible de retenir mes larmes. Je ne sais pas encore où je dois aller, mais quitte à partir loin d'ici, autant que ce soit le plus loin possible. 

Rosa Atque Immortalis (AUTOEDITION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant