Édimbourg, 7 septembre 1865, le soir venu...
- Encore un macchabée... marmonne l'inspecteur de police en touchant le corps inerte du bout du pied.
- Jeune, celui-ci, apparemment, ajoute son collègue. Bon, on en fait quoi ?
L'inspecteur hausse brièvement les épaules. Chaque nuit tombante, c'était la même chose : il retrouvait systématiquement un cadavre à chaque ronde. En bon, ou en mauvais état, cela dépendait de qui était arrivé en premier lieu. Souvent, des chats et chiens errants commençaient à se nourrir de la chair en putréfaction.
L'inspecteur passe sa main sur son épaisse moustache sombre, et pousse un long soupir.
- Il va falloir aller voir le médecin légiste.
- Et la famille du gamin ?
- Introuvable. Ils doivent vivre dans les souterrains. Mais ils auraient emmené le corps avec eux... Enfin bon, il est sûrement mieux là où il est.
En effet. Habillé d'une chemise ample et couverte de boue, ainsi que d'un simple pantalon en toile, les deux policiers se doutent que le garçon vivait dans les caves de la ville, sous le South Bridge. L'inspecteur saisit son sifflet et souffle, annonçant qu'un cadavre vient d'être trouvé.
- S'il est mort depuis ce matin, pourquoi personne n'a rien signalé ? interroge son collègue.
- Parce qu'il est courant, dans ce quartier, de découvrir des corps à n'importe quelle heure de la journée, affirme l'Inspecteur. Enfin, s'il a attrapé une maladie, il faut le sortir de là.
Un autre policier arrive sur les lieux, essoufflé. Il avait couru jusqu'ici dès lors qu'il avait entendu le coup de sifflet. Ce dernier se penche au-dessus de la dépouille et une grimace se dessine sur son visage déjà couvert de rides.
- Le malheureux...
- Ne le laissons pas là, intervient l'inspecteur. De toute façon, les journalistes ne s'intéresseront pas à lui.
On évacue le corps afin de l'emmener au médecin légiste le plus proche. L'inspecteur choisit de rester, attendant de connaître la cause de la mort du jeune homme. Le médecin légiste, portant le nom de John Richards se penche au-dessus du drap mortuaire, et retire la partie couvrant le visage du malheureux. Il hausse les sourcils tout en affichant un air de dégoût en découvrant un jeune homme de vingt-trois ans, inerte.
- C'est bien dommage... marmonne ce dernier entre ses dents.
- Bon, et si vous me faisiez part de la cause de sa mort...
Le légiste essuie ses mains sur sa blouse blanche couverte de sang puis s'appuie sur la longue table en chêne où git le défunt garçon.
- Aucune marque de violence, il n'était pas bien vieux... Une malnutrition certaine, et visiblement, il s'est vidé avant sa mort. Je dirais une maladie. Le choléra, sans doute.
Il renifle, épongeant le mucus du revers du poignet et pose ses poings sur les hanches.
- De la famille ?
- Aucune idée. Peut-être, mais ils n'ont montré aucun signe de vie... Si c'est le cas, ils sont probablement partis.
- C'est triste de voir ça, ajoute John Richards en recouvrant le visage du pauvre garçon. Bon, à la fosse commune, dans ce cas.
L'inspecteur salue le légiste et quitte la morgue assez rapidement. Le médecin pousse un soupir. Jamais il n'aurait pensé recevoir un défunt aussi jeune cette nuit-là. Ce dernier retourne chez lui, épuisé, laissant en ce lieu le corps sans vie d'Aonghas Mèinn.
***
On vient chercher la dépouille tôt le matin, afin de l'inhumer dans la fosse commune. Après le décès du premier enfant Mèinn, la famille avait décidé de quitter Édimbourg, persuadée que le Mal règne dans les rues de cette cité maudite. Ils ne pouvaient plus dormir dans ces souterrains, sachant ce qui les y attendait. Ailig avait trouvé son fils sans vie et n'avait pas attendu pour prévenir sa femme. « De toute manière, il était atteint d'un mal, et n'aurait pas tenu longtemps », avait-il dit. Siûsan avait beaucoup pleurée sur le corps sans vie de son frère aîné. Et dire qu'il avait fait passer la santé de celle-ci avant la sienne... Et Lili était restée une heure environ devant la dépouille, se demandant s'il s'agissait d'un cauchemar.
Puis, la famille Mèinn avait quitté Édimbourg sans demander son reste. Ce qu'ils ignoraient, c'est que la maladie de leur fils les avait suivis en dehors de la ville...
On balance le corps à la sortie de la cité, dans la fosse commune, enroulé de son drap mortuaire. Le fossoyeur n'avait pas pour habitude de reboucher de suite : d'autres défunts allaient sans doute arriver dans la journée. Les vers et les rats commençaient déjà à se nourrir des tissus morts. Des larves sortaient des globes oculaires, tandis que des mouches pondaient dans les orifices les plus profonds. Aonghas Mèinn venait de finir sa vie dans la misère la plus abyssale. Du moins, c'est que tout le monde avait cru.
VOUS LISEZ
Rosa Atque Immortalis (AUTOEDITION)
RomanceRoyaume-Uni, 1888 "On n'associe pas un ange et un démon". Tels sont les mots d'Aonghas Méinn. Vampire vivant dans les caves sous la ville d'Edimbourg, sa rencontre avec Elsie Case, jeune londonienne rebelle, va changer son quotidien. Ayant quittée L...