Chapitre 3 - La maladie

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Édimbourg, 7 septembre 1865


- Aonghas ! Aonghas ! Hurle mon père en donnant de légers coups de pied dans mes jambes engourdies. Réveille-toi ! Il faut retourner sur le marché !

- Hmm... me contenté-je en ouvrant péniblement les paupières.

Je n'ai dormi qu'une heure, et je me sens épuisé. Des crampes musculaires étaient apparues en pleine nuit, et je n'avais pas arrêté de vomir depuis que Siùsan et moi étions sortis de la boutique du chapelier.

- J'arrive, père, j'arrive. Excusez-moi, marmonné-je en me levant avec difficulté.

Mon père s'éloigne, tandis que je peine à rester debout. En traversant notre partie des souterrains, non loin de la surface, je croise le corps sans vie d'une femme d'environ cinquante ans. Les rats se nourrissent déjà de sa chair, au moment où l'odeur immonde me prend à la gorge. Encore une... pensé-je en rejoignant mon père sur le marché. Chaque semaine, au moins une personne était retrouvée morte dans les caves sous la ville d'Édimbourg. Certaines d'entre elles sont victimes de maladies, d'autres de meurtres. Pour moi, il est presque normal d'avoir cette vision assez régulièrement. Je me souviens que, la première fois que ma famille et moi étions arrivés dans les souterrains, voir un corps sans vie m'avait choqué. Aujourd'hui, je n'y prête plus vraiment attention.

- Tu as pu pêcher quelques poissons ce matin ? Demandé-je en parcourant l'étalage du regard.

Mon père me jette un regard désespéré, tandis que ses épaules s'affaissent.

- Non... Nous n'avons plus que ça.

Je promène la main sur ma nuque, tout en poussant un soupir de lassitude. Qu'est-ce qu'on peut bien faire, maintenant ? Il ne reste qu'une dizaine de poissons, tout au plus. Et puis, notre étalage de fortune n'est pas loin de la moisissure. Le bois commence déjà à pourrir, dû aux longues heures passées sous la pluie.

- Qu'est-ce qu'on peut faire ?

- Prier... Et attendre... marmonne mon paternel en se posant sur le pavé humide.

Je fais de même, en dissimulant ma toux naissante et mon mal-être. Je passe mes mains couvertes de terre sur mon visage et chuchote quelque chose que mon père ne peut entendre. Nous voyons des passants circuler devant notre étalage, mais aucun d'eux ne s'arrête ni même nous prête attention. Je soupire et lève le regard vers le ciel, avant de poser mes yeux clairs sur mon père.

- On ne survivra pas jusqu'à la fin de la semaine... murmuré-je, tandis qu'il essaye de dissimuler ses larmes, tant bien que mal.

- Nous le devons ! Tonne ce dernier. Pour ta mère... Pour ta sœur...

J'affiche une petite moue, et hausse les épaules, préférant ne rien répondre à cela.

J'entends soudainement le son d'une cornemuse, non loin de nous. Je me relève lentement et m'avance vers la mélodie. De l'autre côté du pont, un musicien d'âge moyen joue de son instrument, sous le regard joyeux de dames et de leur mari. Ils tapent frénétiquement dans leurs mains en riant. J'ai comme l'impression d'être arrivé dans un monde parallèle, comme si ces gens ignorent la misère qui habite la partie opposée de South-Bridge. J'ai envie de hurler, de leur dire à quel point ils restent aveugles sur la société qui les entoure ! Pourtant, aucun son ne peut sortir de ma bouche, et je me contente, moi aussi, d'écouter cet homme jouant l'air le plus joyeux que je n'ai jamais entendu. Et puis, comme si la nature me rappelle que je n'ai pas ma place sur cette partie du pont, je sens une douleur indescriptible à l'estomac, et une nausée que je n'ai jamais connue auparavant. Je m'effondre subitement sur les pavés glissants et me tort à cause de la souffrance. Personne ne s'inquiète à mon sujet, trop occupé à écouter la cornemuse et taper dans leurs paumes au rythme de la musique. Je tends main vers l'attroupement en suppliant, de toute mon âme, que quelqu'un me vienne en aide. Mais c'est comme si personne n'entend mes plaintes. Une nouvelle douleur, plus intense cette fois, s'empare de mon corps. Et puis ce fut les ténèbres. 

Rosa Atque Immortalis (AUTOEDITION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant