Chapitre 9 - Direction Edimbourg

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Londres, 16 octobre 1888

Elsie

Je paie le cocher après être sortie du fiacre, et me dirige vers le hall de la gare. L'homme m'interpelle soudainement, et m'adresse un signe de la main. Un sourire illumine son visage, et cela me réchauffe le cœur, bien que je n'aie aucune idée de qui est cet homme, si ce n'est un cocher.

- Bon voyage, Mademoiselle. Faites attention à vous.

Je lui fais un signe de tête en guise de réponse, puis m'éloigne. Mes pas résonnent dans le hall, tandis que je m'avance vers le guichet. L'homme se tenant derrière lève les yeux de son journal, et pose sur moi un regard dédaigneux. Sa fine moustache lui donne un air strict, et cela me met mal à l'aise.

- Mademoiselle ? Je peux faire quelque chose pour vous ? me demande-t-il, voyant que je reste silencieuse.

- Euh... Oui. Dans combien de temps part le prochain train ?

Il retire sa montre à gousset de sa veste, l'examine quelque seconde, la range, puis me regarde de nouveau.

- Dans deux heures, Mademoiselle.

- Quelle est sa destination ?

- Édimbourg. Vous souhaitez un ticket ?

Je hoche frénétiquement la tête. Édimbourg, c'est parfait ! Personne n'aura l'idée de venir me chercher là-bas ! Le guichetier me tend alors mon ticket, et, tandis que je le saisis, me fait une remarque que je ne suis pas près d'oublier :

- Vous n'êtes pas accompagnée ?

- Depuis quand une femme a besoin d'être accompagnée pour prendre le train ? répliqué-je en fronçant les sourcils.

- Désolé, je ne voulais pas vous offenser, me répond celui-ci en haussant les épaules. Je vous souhaite un bon voyage, Mademoiselle.

- Merci, Monsieur, bonne soirée.

Sur mes mots, je me dirige vers les quais, et me pose sur un banc en attendant mon train. C'est étrangement calme, mais heureusement, le guichetier n'est pas loin. Les agressions envers les femmes seules sont plutôt courantes, et je n'ai aucune envie qu'un homme vienne m'aborder, alors que je suis sans défense. J'ouvre ma valise, afin d'en sortir un livre que j'affectionne beaucoup : Frankenstein, de Marie Shelley. Louise me l'avait offert pour mes dix-sept ans, bien que ma mère avait préférée que je m'adonne à la musique. J'ai appris le violon, et cela fait longtemps que je n'en ai pas joué, cependant. Je dois bien avouer que cela me manque.

Je commence donc la lecture puisqu'il me reste encore deux heures à attendre.

***

- Mademoiselle ? Mademoiselle ?

Je sens une main me secouer doucement l'avant-bras. Je me réveille en sursaut, apercevant le guichetier. J'écarquille les yeux. Je me suis visiblement endormie...

- Oui ? marmonné-je.

- Votre train va bientôt partir.

Je me redresse subitement, empoigne ma valise, remercie le guichetier, et me dirige vers la voie numéro deux. Je suis tellement pressée, que je glisse sur une marche, mais me rattrape in extremis. Il ne manquerait plus que ça ! Arrivée sur le quai, je monte dans le wagon, m'avance dans un compartiment, et prends place à côté de la fenêtre. Je reprends mon souffle et appuie ma tête contre la vitre. J'y suis presque ! Plus que quelques heures, et je serai enfin arrivée à destination. Tandis que je pose ma valise à côté de moi, une dame d'environ trente ans entre dans mon compartiment et me requiert si elle peut s'installer auprès de moi. Je hoche la tête, sans un mot. À voir la façon dont elle est vêtue, elle doit être issue d'une famille aisée. Elle s'assied, pose son large chapeau sur la banquette, et m'adresse un sourire.

- Vous allez aussi à Édimbourg ? me demande-t-elle.

- Oui, marmonné-je. J'espère y trouver une vie meilleure.

- C'est aussi là que je vais, pour rejoindre mon mari. Je suis allée à Londres pour rendre visite à ma mère malade.

- Oh... Je suis désolé...

Et je le suis vraiment. Je me redresse, après qu'elle m'ait adressé un bref signe de tête, et lui tends ma main.

- Je suis Elsie Case, dis-je.

- Anna Butler. Enchantée.

Elle ajuste son chignon, et sort un éventail de sa valise. De mon côté, je regarde le paysage qui commence à défiler sous mes yeux.

- Comment c'est, Édimbourg ? la questionné-je.

- C'est une ville incroyable, assure-t-elle en cessant de s'éventer. Vous allez vous y plaire, j'en suis sûre.

- Je l'espère vraiment.

Collant ma joue contre la vitre glacée, je pousse un soupir.

- Si le cœur vous en dit, venez nous rendre visite. Nous habitons près de South Bridge. Tenez, je vous donne mon adresse.

Ma voisine me tend la carte de visite de son mari. Je la range dans ma valise avec soin, tout en souriant. Je remercie Anna et me rappelant que j'avais délaissée ma lecture sur le quai, je décide de la reprendre pour passer le temps. Je me demande vraiment ce que je ferai, une fois là-bas. Prendre une chambre pour la nuit ? J'espère que les loyers ne sont pas trop chers. Heureusement qu'il me reste un peu d'argent, sans quoi, je devrais vivre sous les ponts ! Je glisse mon regard vers Anna, qui est en train de s'assoupir. Le voyage risque d'être long, et je viens de me souvenir que ma nuit n'est pas encore terminée... 

Rosa Atque Immortalis (AUTOEDITION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant