Chapitre 11 - L'Atelier de Lady McNeis

11 2 0
                                    


Édimbourg, 17 octobre 1888

Elsie


« An snàithlean dearg »... je relis l'enseigne plusieurs fois, ne comprenant pas le texte. J'ignorais que certains d'entre eux étaient écrit en écossais...

À en croire la vitrine, je me trouve sans nul doute devant un atelier de couture. Je pousse un long soupir, avant d'ouvrir la porte. Je m'avance dans la boutique et, pendant que mon regard se porte sur la robe habillant le mannequin, au fond de la pièce. Je me rapproche, les yeux brillants puis glisse mes doigts sur le tissu : l'étoffe est incroyablement agréable au toucher. C'est incroyable. De la dentelle orne le buste et une rose rouge a été cousue en son centre. Les manches sont courtes et bouffantes, tandis que la taille reste fine. Il n'y a pas à dire : elle est sublime !

J'entends soudainement un raclement de gorge derrière moi et me retourne vivement. Une femme, à peine plus âgée que moi, me sourit et s'avance dans ma direction.

- Bonjour, je peux vous aider ?

- Bonjour... bégayé-je. Désolé, il n'y avait personne, alors...

- Ne vous inquiétez pas, j'étais dans la pièce juste à côté. Vous n'êtes pas d'ici, n'est-ce pas ?

Je dois tendre l'oreille pour bien la comprendre.

- Je viens de Londres, dis-je. Je suis navrée de vous déranger, mais... Est-ce que vous auriez du travail pour moi ?

Elle écarquille les yeux. Il est vrai qu'il est peut-être étonnant que je vienne ici demander un poste alors que je suis vêtue de mes habits les plus nobles... Je replace une mèche rebelle derrière mon oreille, en attendant sa réponse.

- Eh bien... J'aimerai bien, mais savez-vous seulement coudre ?

- Oui. Ma première servante m'a enseigné la couture.

Elle fronce légèrement les sourcils, semblant se demander ce que je fais là. Pourtant, j'ai vraiment besoin de ce travail. Il est hors de question que je retourne à Londres !

- Alors bienvenue, Mademoiselle ?

Je réfléchis rapidement, me demandant si je dois lui donner mon vrai prénom. Mais je suis à Edimbourg, et personne ne viendra me chercher ici. J'en ai la certitude.

- Elsie. Elsie Case, réponds-je en lui serrant la paume.

- Enchantée Elsie. Je suis Fiona MacNeis.

Je lui souris, puis ses yeux noisette se mettent à pétiller au moment où elle m'emmène dans l'arrière-boutique. La pièce est plutôt petite : à peine assez grande pour deux personnes. Ma nouvelle patronne, si je puis dire, s'éclaire à la bougie, car aucune fenêtre ne donne sur l'extérieur.

- Vous allez travailler ici, avec moi. Je vous paierai trois shillings par jour.

Super. De quoi payer mon hôtel... j'espère qu'il me restera assez pour m'acheter de quoi manger. Me voyant approuver, elle continue :

- Vos horaires seront identiques aux miens : de sept heures du matin, jusqu'à sept heures le soir.

- Très bien, Madame, approuvé-je.

Celle-ci me désigne un petit bureau juste en face du sien, avec une machine à coudre. Je m'y installe, alors qu'elle se dirige vers la caisse dans le coin de la pièce, puis revient et me donne une chemise à recoudre.

- Regarde. Il y a un trou sur la manche, je te laisse t'en occuper.

Je hoche la tête et me mets au travail. Ma patronne se pose à son bureau, et commence à utiliser sa machine. Quant à moi, étant donné qu'il s'agit d'un petit trou, je décide de recoudre à la main. Je passe le fil dans le minuscule trou dans l'aiguille, manquant de me piquer le doigt au passage.

- Vous avez eu une première employée ? demandé-je en enfonçant l'aiguille dans le tissu.

- Il y a longtemps, oui. Enfin, pas vraiment une employée. C'était ma sœur.

Je lâche un petit « oh » surpris. Nous restons dans le silence un moment, puis ma patronne se lève, et me demande de la suivre dans la boutique, ce que je m'empresse de faire. Elle me désigne la magnifique robe qui m'a tapé dans l'œil, et me dit :

- C'est elle qui l'a faite.

- Elle a du talent, avoué-je avec un sourire.

Lady MacNeis baisse le regard et se mord la lèvre inférieure. Elle est mal à l'aise, je ne souhaite pas la mettre davantage dans l'embarras.

- Elle est partie pour Dublin, il y a longtemps, m'informe ma patronne en s'avançant vers la robe. On devait tenir cet atelier ensemble, et puis elle a rencontré cet homme...

- Lady MacNeis, dis-je dans un murmure. Je suis désolée...

- C'est moi qui suis désolée, Elsie, réplique celle-ci d'une voix chevrotante. J'ai besoin de discuter avec quelqu'un...

Je reste silencieuse, alors que des larmes coulent le long de ses joues. Lady MacNeis a l'air vraiment épuisée. J'espère que ma présence va la soulager dans son travail. Elle sort un mouchoir de son décolleté, se mouche, et reprend :

- Elle a rencontré un médecin irlandais, et quelques mois plus tard, ils sont partis tous les deux. Elle est venue la veille de leur départ pour m'en parler, et j'étais furieuse. Je n'ai plus de ses nouvelles aujourd'hui... ça fait presque cinq ans maintenant. Je vis dans la solitude.

Je ravale un sanglot. Et dire qu'elle est restée seule pendant un certain moment... et moi, qui ne demande qu'une chose : être libre, vivre mon isolement... Je m'en veux presque, à ce moment-là. Je mordille nerveusement l'ongle de mon pouce alors que ma nouvelle patronne se tourne dans ma direction.

- Vous savez, je suis contente de vous avoir, Elsie. Je pense que nous allons bien nous entendre.

Je lui souris en retour, car j'ai également l'impression que ce travail est fait pour moi, de la même façon que Lady MacNeis a l'air d'une patronne exemplaire.

***

Je sors de l'atelier peu après dix-neuf heures, et je dois passer par Cowgate pour retourner à l'hôtel. Je hâte le pas, car je rentre dans une zone particulièrement sombre. Passant devant le pub The Voyage Brewery, je baisse la tête en remarquant trois hommes discuter. Ils ont visiblement l'air d'avoir beaucoup, beaucoup bu. L'un d'eux m'aperçoit, et m'interpelle, de sa voix criarde, en plus de son accent écossais :

- Eh ma jolie !

Oh non, non... Je continue de me presser, mais l'un d'eux me rattrape par le poignet. Sa grosse main refuse de me lâcher ! je me tourne vivement et lui hurle :

- Je ne vous permets pas ! Laissez-moi !

Il est imprégné d'alcool, et l'odeur envahit mes narines ! Il n'est absolument pas conscient de ce qu'il est en train de faire !

Ses deux comparses se joignent à lui, et alors que je me débats comme je peux. Je me rends vite compte que mes gestes ne servent à rien, et ne les dissuade pas. Mon pouls s'accélère et les larmes me viennent. Ils m'emmènent dans les ruelles étroites et sombres de Cowgate, vers ce qui me semble être des caves...


Le fil rouge

Rosa Atque Immortalis (AUTOEDITION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant