Chapitre 2 - La boutique de Mr Seoras

20 3 0
                                    


Édimbourg, 6 septembre 1865

Bien qu'épuisé, je n'arrive pas à trouver le sommeil. Le sol humide des souterrains n'est en rien confortable, et même ma petite sœur pousse des gémissements de fatigue. Je pose ma main sur la joue de ma cadette, et chuchote son prénom, avec une intonation rassurante.

- J'ai mal à la tête... J'en ai marre de dormir avec des vêtements trempés !

Je me redresse avant de jeter un œil autour de moi. D'autres familles couchent dans les alentours, et elles aussi semblent frigorifiées. Je me lève, et me rapproche de Siùsan, avant de lui demander de me suivre.

- Mais... On va où ? s'inquiète celle-ci.

- Je vais essayer de trouver quelque chose pour te réchauffer. Hors de question que tu tombes malade !

Et pour cause, notre famille n'a pas les moyens de se soigner, loin de là. Il faut à tout prix éviter les endroits humides, où grouillent nuisibles, chairs en putréfactions, et individus se traînant la vérole ou le choléra. J'amène ma cadette hors des caves et me dirige vers la boutique du chapelier, à deux ruelles d'ici.

Les fiacres sont peu nombreux à cette heure : Dieu sait qu'il est dangereux de marcher dans les rues la nuit, au risque de vous faire piétiner par des chevaux, à cause d'un conducteur peu attentionné. Aussi, la ville n'est plus éclairée, deux heures après le coucher du soleil.

Par chance, la boutique est encore ouverte, mais plus pour longtemps. Je peux déjà voir le propriétaire en train de se chauffer les mains près de sa cheminée. Je frappe doucement à la porte, tenant toujours Siùsan par la main. Elle tremble de tout son être : j'espère que ce n'est pas une pneumonie en train de la guetter préalablement. Je l'entends claquer des dents, tandis que je toque à nouveau. Le chapelier vient ouvrir, et semble surpris de nous voir devant sa porte.

- Tu es le jeune Mèinn ! s'exclame celui-ci. Qu'est-ce que tu fais ici ?

- Monsieur Seoras ! Réponds-je en retour. S'il vous plaît, laissez-nous entrer quelques minutes, ma sœur est frigorifiée...

L'homme, habillé d'une chemise blanche et d'un pantalon sombre, passe la main dans son épaisse barbe brune, tandis que son regard va de moi à Siùsan. Nous ne pouvons pas rester dehors, alors que la pluie et l'orage menacent. Il nous fait dès lors signe d'entrer, et nous désigne le feu qui crépite dans la cheminée. J'approche ma sœur du brasier, et la fait asseoir. Déjà, ses joues reprennent un peu de leur couleur rosée. Siùsan tourne la tête vers le chapelier, et le fixe de ses grands yeux verts.

- Merci, Monsieur, marmonne celle-ci avec un léger sourire.

- Je vous en prie, c'est bien normal d'aider son prochain.

- Tout le monde ne pense pas comme vous, Monsieur Seoras, ajouté-je. Malheureusement...

Le propriétaire de la boutique pose une main compatissante sur mon épaule, tandis que je fixe le sol. J'ai honte de demander de l'aide en temps habituel. Mais cette fois, c'est pour sa petite sœur et non pour moi.

- Vous savez, je suis conscient de ce que vous vivez, avoua le chapelier. Espérons que votre famille trouve un meilleur endroit. Et si vous le souhaitez, vous pouvez emmener la petite ici, le soir.

- Nous ne voudrions pas vous importuner. C'est déjà très gentil à vous de nous autoriser à rester quelques minutes.

Monsieur Seoras fait un geste de la main, signifiant que cela n'était rien du tout, et que nous serons toujours les bienvenus. Je fais glisser mon regard clair sur ma petite sœur, qui semble aller déjà mieux. Je me rapproche de celle-ci, et lui demande si ses vêtements sont secs. Celle-ci hoche doucement la tête, et ajoute :

- On peut encore rester un peu ?

- Eh bien, si cela n'embête pas Monsieur Seoras...

- Ne vous inquiétez pas, affirme l'intéressé. Et puis, cela nous permet de faire connaissance. Ça fait un moment que je vous vois avec vos parents. Vous êtes nés ici ?

Je me mords la lèvre inférieure, et opine du chef. J'enfonce les mains dans les poches de mon pantalon en toile, et pousse un soupir.

- Mes parents avaient un manoir autrefois, dans la Lande, pas loin de la ville, commencé-je. Je suis né là-bas. Et puis, allez savoir pourquoi, le Destin, sans doute... Le manoir a pris feu, et le reste avec.

Monsieur Seoras m'écoute avec attention, et s'adosse au mur de la boutique, près de la cheminée. Je sens monter une boule d'angoisse dans ma gorge, mais maintenant que j'ai débuté mon récit, je me dois de le continuer.

- Mes parents sont venus à Édimbourg, espérant trouver un travail, mais rien... Alors, on survit comme on peut.

- Je souhaite de tout cœur que votre situation s'améliore, répondit le propriétaire avec un léger sourire aux lèvres.

Je le lui rendis, me disant que nous avons eu beaucoup de chance que ce dernier nous ait laissé entrer, et permis de rester. Mais il commence à se faire tard, et si les parents se réveillent, nous risquons d'en entendre parler. Il ne vaut mieux pas nous mettre à dos nos géniteurs ! Nous savons ô combien notre père peut devenir violent...

- Encore merci, Monsieur Seoras, dis-je en prenant Siùsan par la main.

- Je vous en prie. N'hésitez pas !

Je lui adresse un bref signe de main puis quitte la boutique, suivi de ma sœur. Jamais je ne le remercierais assez pour ce qu'il venait de faire à notre égard. Sans lui, Siùsan serait déjà morte de froid. Ma sœur compte plus pour moi que tout l'or du monde. Sa vie passe avant la mienne, et je ne pouvais la laisser dans les caves, sans quoi, je l'aurai retrouvé gelé le lendemain matin, et peut-être même la vie l'aurait quittée.

Sur le chemin du retour, j'ai comme l'impression de me sentir malade. Des nausées apparaissent subitement, ainsi que des crampes musculaires. Il vaut mieux ne rien dire aux parents : ils s'inquiéteraient, et notre famille se fait déjà assez de soucis comme ça. 

Rosa Atque Immortalis (AUTOEDITION)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant