Oh Happy Day

34 5 0
                                    

La semaine défile très vite. Et durant tout ce temps, je ne revois pas Emma. Notre dernière altercation m'a bizarrement laissé sur ma faim. Mais aujourd'hui, c'est dimanche. Et le dimanche, Natasha me traîne jusqu'à l'Eglise de la trinité pour les concerts de Gospel. La Russe adore ces prestations animées qui font remuer toute l'Eglise à l'américaine. Je dois avouer que, même si je ne suis pas pratiquant, ce petit rituel ne me déplaît pas. Ici, tout le monde oublie d'où il vient, et tout le monde dépose ses petits euros pour voir les festivités. Je vois ça comme un don, même si cette fois, cela me procure un certain plaisir. Natasha a troqué ses habituels tenues excentriques pour la robe classique et sobre, et ses talons démesurées par des chaussures plates. Recouvert ses bras d'un petit gilet et relevé ses cheveux en un chignon strict. La scandinave est particulièrement à cheval sur la religion. Ca surprend tout le monde, quand elle en parle. La rousse à la dégaine d'une libertine, et la dernière fois que le prêtre a croisé sa route dans un E.Leclec, j'ai cru qu'il allait faire une crise cardiaque. Il faut dire que le rouge de sa tenue moulante ce jour-là avait de quoi faire grimper au rideau n'importe quel homme. Même moi, j'étais admiratif. Quand mon amie et collègue me tire vers le second rang, cette dernière râle déjà.


- Si t'avais pas été aussi lent à te préparer, on serait devant ! Me rouspète-t-elle en passant ses lunettes de soleil sur son crâne aux boucles de feu.


- Ma chemise était froissée, je sors d'un congé, tu te souviens ? 

- Cherche pas d'excuses, sale feignasse ! Qu'elle s'insurge en me jetant un regard contrarié.


- Chhhh ! Crache un petit vieux à notre droite, l'air courroucé et mécontent. Je crois qu'il regrette de s'être placé ici. A son expression, on devine tout de suite qu'il connaît très bien Natasha. 


- Désolés ! Nous nous exclamons en chœur, mains levées. Parfois, les gens nous demandent si nous sommes frère et sœur.


Ca change de l'habituel question de la petite amie, et ça me fait  rire. Il est vrai qu'au soleil et durant l'été, mes cheveux virent au roux plutôt qu'au châtain. Et nous abordons tous les deux ces prunelles d'un bleu javellisé. 


Des enfants en toge passent dans les rangs, tout en tenant leurs petits paniers. Cette fois, ce n'est pas le prix des places, mais la demande d'un don supplémentaire à l'Eglise. Comme toujours, Natasha et moi y déposons un billet de vingt euros, rien que pour les sourires édentés de ces petites bouilles d'ange. La gamine qui aborde de longs filets blonds nous adresse un immense sourire, nous remerciant de sa petite voix fluette et timide.


- Trop mignonne ! S'extasie Natasha, qui proclame toujours que les enfants des autres, c'est toujours mieux. Et pas trop longtemps.


- Ouais. Je me contente de répondre.


J'adore les gosses, mais aucune femme ne m'a jamais donné l'envie d'en avoir moi-même un jour. Et ma vie ne me le permet pas. Les murmures qui traversent la vaste salle aux murs blanchies commencent doucement à s'évanouir, laissant place à des chuchotements, puis finalement au silence. Comme toujours, j'ai tendance à bayer aux corneilles et à admirer les sculptures de Jesus ou les vitraux fascinants. Je baisse mes azures encore légèrement brumeuses, le programme indique tous les chants prévus ce soir. L'habituel ' Oh happy day' est à l'honneur.

Routes croisées. Vol.1 : ELLE ( 1er jet ) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant