I don't complain

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Le Lundi matin, j'arrive particulièrement tôt aux bureaux. L'agitation habituelle laisse pourtant place à un étrange vide dans les locaux, et c'est sans embûches que j'ai l'occasion de me faire un café. La sale est vide, les lumières artificielles fades donnent à mon reflet dans le frigidaire un air fantomatique, et j'avise ma barbe de trois jours que je n'ai même pas eu le courage de raser. Je croise bien Stacy, l'une des hôtesses du rez-de-chaussée, mais même Antoine et Natasha semblent abonnés absents. Il me faut plusieurs minutes avant de réussir à remuer un petit doigt de pieds pour bouger ma carcasse encore douloureuse et endormie jusqu'au bureau de Sébastien St Clair. Le Directeur de la chaîne. Quand j'arrive jusqu'à sa porte à demi-ouverte, je remarque qu'il a le dos courbé sur son bureau. C'est un grand homme aux traits tirés par l'âge et au charisme encore bien marqué pour ses années. Grand, maigre, sa mâchoire semble parfois légèrement tirée vers le bas. Ses cheveux grisonnants tous bien présents sur sa tête sont souvent rejetés en arrière, et je ne me souviens pas l'avoir déjà aperçu sans ses lunettes aux montures épaisses. Trois coups frappés sur la porte par mon poing suffisent à lui faire lever le nez de ses papiers, et son expression méditative est rapidement succédé par un immense sourire.


- Ah ! Peter, entre, je t'en prie. Justement, j'espérai te voir au plus vite. M'invite Sébastien sans me laisser le temps de dire ouf. A peine ai-je effectué un petit pas dans son entre, qu'il est déjà sur moi, une main placé sur mon épaule. Cet homme est presque aussi grand que moi, et ses prunelles sombres m'avisent avec intérêt. Comment s'est passé ton petit congé ? Demande-t-il d'un ton presque paternel. 


- Bien, Merci Sébastien. Et vous tous, la semaine ? 


Mais il balaye ma question d'un revers de main résolu, m'invitant à prendre place sur l'un des canapés confortables qui longe la baie vitrée. D'ici, nous avons une vue imprenable et sublime sur la tour. Je peux même voir sa pointe qui comme toujours, tente de percer le ciel pour atteindre les hautes sphères.


- Rien de bien important, une semaine très tranquille. Tu as bien choisi ton moment pour t'absenter, mais ... Il marque une pause, plissant ses paupières légèrement tombantes avant de me demander sur le ton de la confidence : Tu me sembles toujours aussi épuisé, Peter. Une semaine, c'est bien trop peu pour un homme comme toi. Tu fais du bon boulot, du très bon même ! C'est éprouvant, n'est-ce pas ?


Où est-ce qu'il veut en venir ? St Clair ne fait, ne dit et ne pense jamais rien au hasard. Cet homme est la clef d'un immense rouage qui ne cesse de tourner à longueur de journée. Je fronce les sourcils en plissant les yeux, m'humectant les lèvres tout en jouant avec ma montre. Je la fais tourner encore et encore sur mon poignet, tapotant mes phalanges du bout de mes doigts. J'ai l'impression d'avoir loupé un épisode. Encore. Décidément, je ne sers à rien ces derniers temps, je suis totalement à côté de mes pompes. En général, je le vois venir à des kilomètres. Pourtant, là, j'ai beau chercher ...


- On a de l'avance, Pierce. Précise mon Directeur, sans se démonter devant mon mutisme. Beaucoup d'avance. Tu n'es pas sans savoir qu'on va clore ta dernière saison et que nous avons déjà deux épisodes pour la prochaine en boite. La première de ton Film approche à grands pas, et ... Ta situation en ce moment est pour le moins compliquée. 


- Je sais tout ça, oui. Je lâche un peu abruptement. Où tu veux en venir, Sébastien ? Je m'impatiente, toujours méfiant dès qu'il fait des pirouettes. 

Routes croisées. Vol.1 : ELLE ( 1er jet ) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant