The impossible girl, part. 2

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Les dernières semaines après mon altercation furent chaotiques.

Perché sur mon canapé, le buste enroulé dans mes bandages avec interdiction formelle du médecin de faire le moindre effort, j'avais reçu un appel paniqué du réalisateur de mon documentaire. D'après lui, le chef opérateur avait besoin de tourner à nouveau une scène compliqué. Question de cadrage. Du jargon de cinéphile, je n'avais rien compris, si ce n'est l'essentiel : Il fallait tout refaire. Lorsque, embarrassé et usé, j'avais expliqué à mon correspondant que j'étais saucissonné et conditionné pour plusieurs semaines, j'ai cru déclencher la troisièmes guerre mondiale.

Le lendemain même, mon agent et moi regardions la dite scène. A part le fait que, à contre-jour, mon visage y est indétectable, rien ne m'avait vraiment choqué. "L'œil du débutant" m'avait grogné le chef op' au téléphone. Mais bien-sûr, qui suis-je seulement pour remettre en cause les dires de professionnels ? Quel Diva j'fais ! Vraiment. J'ai été énervé toute la semaine après ça. Je ne bougerai pas de Paris, pour me les geler en Antarctique avec mes côtes en miettes, pour permettre aux gens d'avoir l'occasion de détailler à leur guise mes poils de barbe en full HD. La scène resterait comme ça, où le film serait reporté. Mon Agent en a fait une crise. Je l'ai regardé tourner en rond dans ma chambre d'hôtel pendant des heures, à tenter de marchander et régler ce détail futile et rébarbatif. C'est peut-être con, mais j'en avais strictement rien faire.

Et si seulement ça s'était arrêté là ... Les procédures pour le Divorce traînent en longueur. Madame refuse de signer les papiers tant qu'elle n'obtiendra pas ce qu'elle désire. Soit me plumer jusqu'à la moelle.

« - Je peux pas faire un pas dehors sans risquer de perdre un cheveu, j'avais râlé un soir, alors qu'Antoine passait me rendre visite.

- C'est ça les métiers à risque, mon vieux. Qu'il avait ironisé en observant la rue via le Balcon. Avant de lâcher un sifflement de gros lourd typique. Pas mal la petite brune ! »

J'ai décidé de ne pas relever et d'ignorer son second commentaire. Avec Antoine, c'est seulement une vieille routine.

Le temps a fait le reste. Je regardais des documentaires à la télé, tout en me goinfrant de chips. Je crois que j'ai pris dix kilos d'un coup. Je me suis sentie comme l'oncle d'Harry Potter, celui dont j'ai totalement oublié le prénom. A force de ne rien faire, et d'écrire des piges stupides pour la rédaction, j'ai fini par devenir laxiste et fainéant. Une véritable larve. Tout ça pour quelques côtes ... C'est fou, ce que le corps humain peut être traître. Quand la nourriture a cessé d'avoir un goût de cendre, et que mon corps a accepté de ne plus s'aimanter à mon lit, j'ai fini par sortir de ma drôle de torpeur. Après tout, je ne pense pas que mes côtes soient les seules responsables. Mon moral a joué totalement en la défaveur de ma productivité. Je le sais bien, j'en ai totalement conscience, et j'ai décidé, pour une fois, de ne rien faire pour arranger mon cas. Parfois, s'enfoncer un peu plus nous aide à nous relever.

Un matin, alors que respirer était devenu plus gérable, j'ai décidé de me relever, de prendre une douche, d'abandonner ma barbe et ma gueule de blaireau déphasé pour faire un footing.

Sortir a été un véritable calvaire. A nouveau, quelques personnes étaient plantées devant l'hôtel, avec leurs petits yeux pervers à l'affût, mains serrant leurs portables ou leurs appareilles photographiques pour me canarder. Ma première réflexion a été : ' Qu'est-ce que je fous là ?'. Comment peut-on en venir à être aussi blasé ? Je n'ai pas le droit d'être aussi négatif. De un, parce que c'est une infidélité à mon caractère principal. Une opposition à ma gaîté naturelle. De deux, parce que j'ai visité la moitié du globe et assisté à la misère du monde. Mais pas seulement, aussi parce que, d'un côté, j'ai vu toute sa beauté. Oui, à côté, notre vie est fade. C'est ça, au fond, qui me lasse. Mais je sais où je vis, où est ma place et la chance que j'ai. Peut-être que mon Divorce me blesse plus que je n'ose réellement l'admettre. C'est en vitesse que je souris aux gens, que J'ACCEPTE LES stylos et les papiers. Chacun m'offre un sourire radieux et sincère. Oui, ils sont heureux de voir le type qui passe à la télé, ce taré qui saute d'un hélicoptère en plein vol pour plonger dans l'océan avant de courir partout, avec son sac et sa mini caméra, pour déceler la vérité. Ce mec qui leur permet de rêver après une journée épuisante et désagréable. Pourtant, je ne veux pas être là avec eux aujourd'hui.

Je leur fais quelques signes rapides, m'excusant de devoir déjà prendre congé avant de faire quelques pas. Vue ma tenue, il se doute bien que de ce que je vais faire, j'ai peur qu'on me SUIVE. Alors rapidement, en trottinant, je glisse mes écouteurs dans mes oreilles et met le volume à fond. Mes côtes me font encore mal, mais l'exercice physique me manque trop. La ville de Paris aussi. Beaucoup se plaignent de cette activité incessante, de ce capharnaüm urbain. Personnellement, j'y suis attaché et habitué. Peut-être parce que j'ai la chance de ne pas tomber dans le train train quotidien avec mon boulot. Mais parfois, je me demande ce que je vais faire, une fois que j'aurais exploré le monde entier pour y dénicher ses trésors.

En parlant de quotidien, je le reprends bien souvent comme ça. Un peu de jogging le matin, la rédaction le reste de la journée et des recherches sur mes prochaines articles. En plus de l'émission, j'écris beaucoup pour la rubrique géographique. Un domaine qui ne plaît pas à tout le monde et que St Clair et ravis de me refourgué. Une semaine plus tard, on m'a même demandé si j'accepterai d'intervenir dans une classe de primaire pour parler aux gosses de ce que j'ai vu ou entendu, partager mon expérience. J'ai accepté avec plaisir, parce que j'adore les gamins et leurs tronches ébahis quand je leur avoue que j'ai le vertige. J'ai viré sur la notion du courage. Je crois que la prof a laissé coulé uniquement parce qu'elle ' adore vraiment beaucoup ce que je fais '. Mais elle avait un drôle de regard ... Bref, je m'égare. J'ai continué mes dons pour les associations, mon jogging avec Antoine, mes prises de tête avec le chef opérateur de 'Blue Sky' qui tentait encore de me convaincre, alors que l'affaire est close depuis trois semaines. Puis, le divorce, encore et toujours. Chaque matin, j'attends que Cliff passe son coup de fil pour m'annoncer que voilà, c'est fait, elle a signé !

Pourtant, rien.
Qu'est-ce qu'elle attend, le déluge ? La vierge Marie ? Que je revienne en la suppliant à genoux de me reprendre et de me pardonner cette horrible erreur de jugement ? Elle peut bien aller se faire foutre, je la déteste chaque jour un peu plus d'être une sale égoïste narcissique.

Un beau matin, alors que je courrais comme un drogué en manque pour calmer mes nerfs trop à vif, Antoine s'est arrêté d'un coup, comme ça, sans raison.

J'ai décidé de l'ignorer, avec lui, je peux être certain de subir sa nouvelle lubie féminine ou une réflexion existentielle qui me filera la migraine pendant les trois prochaines heures. Pourtant, il a crié mon nom, comme si ça ne suffisait pas de devoir m'arrêter parfois en pleine course pour signer un papier quand les gens crament que Peter Pierce est en train de leur passer sous le nez. En soupirant, je me suis arrêté, pour revenir jusqu'à lui en essuyant la sueur de me front avec le bas de mon T-Shirt. Deux petites vieilles sur un banc m'on lancé un regard aussi bizarre que celui de la prof de la semaine dernière. J'ai haussé les épaules, en me disant qu'elles doivent juste êtres séniles.

- Qu'est-ce t'as trou du cul ? Je l'insulte en posant les mains sur mes hanches, respirant difficilement en plissant les yeux. Le soleil m'éclate les rétines.

- Tu m'as causé d'une fille, l'autre fois, non ? Qu'il fait en fixant toujours un point fixe.

- Oh non, je t'en prie. Me parle pas de cette chieuse, mes côtes grincent encore rien qu'à l'idée.

Il a l'air de ne pas avoir entendu ma réflexion, parce qu'il croise les bras.

- Petite brune avec un caractère de chien, c'est ça ?

Je fronce les sourcils. Des petits femmes brunes qui vous file la sensation d'avoir leur règle 24/24, y en a des tonnes. Pourtant, je tourne enfin le menton tout en tentant de comprendre. C'est Paris. Il y a des gens qui courent partout, des voitures et des taxis partout, et des têtes curieuses qui nous fixent, mâchoires ouvertes ou bouille dédaigneuses et indifférentes. Je crois que ce sont mes préférées, celles-là. Comme Emma ...

- Et la fille qui jure après le chauffeur de taxi là-bas ? Demande Antoine avec intérêt en pointant son index droit devant lui, dans une DIRECTION bien précise, que j'ose à peine suivre. Lorsque j'approche un peu pour poser mes yeux là où son index s'arrête, ce petit point imaginaire qu'il touche, j'aperçois en effet une petite brune à la peau d'albâtre en train d'agiter les bras devant un grand type penaud.

- Nan, c'est pas elle. Je réponds de façon catégorique en secouant le menton. Même taille, même touffe aux reflets châtains, mais la peau bien plus laiteuse. Jusqu'à ce qu'elle se retourne, pour pointer un doigt dans notre direction. Putain, c'est elle ! Je beugle en lui chopant le bras pour faire demi-tour. Son bronzage s'est fait la malle pour m'induire en erreur comme un connard.

Antoine éclate de rire, pilant net pour me forcer à m'arrêter avant de se dégager.

- Sérieux, mon vieux, t'as vraiment perdu tes couilles avec cette gonzesse.

Je lui lance un regard noir en m'apprêtant à répliquer, sans oser regarder en direction d'Emma. Je ne sais pas ce qu'elle a montré au type du Taxi, mais c'est juste derrière nous, et j'ai peur qu'elle m'est reconnu.

- La dernière fois, cette folle m'a accusé de la stalker. Je réplique d'un ton dur avant de tourner les talons, enfonçant mes mains dans mes poches. J'ai les muscles bandés à cause des nerfs.

Antoine trottine pour me rattraper, avant de planter devant moi. Cet abruti marche à reculon en me fixant, l'air goguenard.

- Avoue, tu l'aimes bien ? Non parce que ... Si t'es pas preneur, moi ...

Haussements frénétiques et suggestifs des sourcils.

- Va chier.
- C'est un oui ?
- Regarde derrière-toi, tu vas te prendre un poto.
-T'évites ma question ... S'entête Antoine en croisant les bras.

Cet enfoiré refuse de me lâcher avec ça. J'inspire avec force, avant de serrer les dents et les poings.

- Je suis en plein Divorce, Antoine. Je sais ce que t'es en train de faire, et tout ce que je dis, moi, c'est de me foutre la paix avec ces conneries. Et pour ton bien, cette fille, évite-là. C'est une vraie tornade !

Et pour une autre raison, ça m'emmerderait de la voir avec lui. Je ne sais pas pourquoi, et je suis certain que ça sera mal interprété. Ce n'est pas de l'attirance. C'est un simple fait, elle m' intrigue, je ne vais pas le nier. J'ai bien envie de la connaître, mais son caractère est ingérable. A côté de ça, je connais Antoine. Si j'avais une sœur, je lui foutrai une ceinture de chasteté et demanderai un avis de justice pour empêcher ce mec de l'approcher à moins de 1000 kilomètres. En tant qu'ami et Journaliste, Antoine est quelqu'un de génial. En tant qu'homme à femmes, c'est une ordure. Il suit ma course en marmonnant un truc à propos des tornades et des opportunités. J'arrête déjà d'écouter avant d'aller gerber dans le parterre de fleur du parc.

J'ai de la sympathie pour cette vipère, voilà pourquoi je ne veux pas la voir finir en coup d'un soir et finir en kleenex à cause de lui.

Même si je me demande si, avec elle, l'effet ne serait pas complètement inversé.
Elle est sûrement capable d'écraser les roubignoles de ce trou du cul, avant de danser dessus et d'en faire un feu de joie.


Routes croisées. Vol.1 : ELLE ( 1er jet ) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant