Les lippes pâteuses. L'envie de vomir et l'impression de tourner en orbite autour de ma cervelle m'ont sûrement motivé à ouvrir les paupières. Enfin, tenter de les ouvrir. J'ai l'impression qu'un petit cousin fourbe s'est éclaté à me les relier à la glu pendant que je dormais. L'aurore éclate mes rétines à travers l'épais rideau de colle organique qui m'empêche d'y voir clairement. L'univers autour de moi est alors totalement inconnu. J'ai beau connaître cette chambre d'hôtel, le fait d'y voir pratiquement en blanc partout m'empêche d'aviser le décors comme un territoire connu. Ma carcasse douloureuse se redresse. C'est à peine si je sens ma propre langue. Mes papilles sont mortes. Détruites. Démolites. Un drôle de son éclate dans la pièce mal éclairée, et je réalise qu'il sort bel et bien de ma bouche. On se croirait dans Shaun of the dead. Oui, je cite ce film là, et non pas une série ultra populaire. 50 % Anglais, vous vous souvenez ? Sauf que je ne suis pas Shaun, mais un abruti de morbac prêt à aller croquer un petit bout de cervelle.
J'ai faim.
Avec difficulté, mon cerveau tente de dénouer la brume qui l'encercle. Pas difficile, il a sûrement rétréci durant la nuit. Lever un pied, puis l'autre. Je viens de commencer par le gauche, mais la superstition n'a jamais été mon fort. Difficilement, je parviens finalement à lever ma carcasse endolorie du lit pour déplier mes longues guibolles et me diriger vers la porte. Qu'est-ce que je fais là ? A ma grande horreur, impossible de savoir comment je suis arrivé ici. Tout en soupirant longuement, je tente de trouver la poignet de la porte. Il faut que je m'y reprenne plusieurs fois avant d'y parvenir, et c'est avec emphase que je parviens enfin à m'extirper de la chambre pour regagner la petite cuisine. Tout semble être complètement inversé, les meubles, la table, l'emplacement de la salle de bain ... J'ai vraiment dû prendre une méchante cuite hier soir. Le pire, c'est que je ne me souviens absolument pas d'avoir abusé de la bouteille.
C'est loin d'être dans mes habitudes. Je porte seulement mon caleçon sous ma chemise totalement froissée. Quand je baisse les yeux, je vois que quelques boutons ont été arrachés. J'ai sûrement tenté de me déshabiller avant d'abandonner à la moitié du chemin. Les klaxons dehors me ruinent les tympans, c'est un véritable tintamarre d'injures et de bruits de moteurs. Mollement, je parviens finalement à m'asseoir sur l'une des chaises de la table, posant un coude et laissant tomber ma tête dans le creux de ma main droite. Ma migraine est ignoble. J'avais juré de ne plus jamais me mettre une mine aussi magistrale depuis des années. Qu'est-ce qu'y m'a poussé à rompre ma promesse ? Je l'ignore. Parfois, les images de la soirée d'hier me reviennent par flash. Mais rien de marquant ne vient. Je revois Antoine et Nat', toujours en train de se chercher des poux, St Clair débarquant pour faire son petit discours d'entrée et les convives s'attabler ... Le repas ... Un éclat rougeoyant passant devant mes rétines et m'alerter.
Il faut que je revienne en arrière. J'ai manqué un détail. C'est certain, quelque chose d'autre est arrivé ce soir-là. Un cataclysme sans nom. Ma futur ex femme a-t-elle déboulé par surprise ? Ca expliquerait la gueule de bois. Ma tête retombe lourdement sur la table, n'en pouvant plus de défier les lois de la gravité. Laissez-moi mourir. Par pitié, qu'on m'achève. Dix minutes plus tard et au moins mille-cent-quatre-vingts râles, je parviens à remuer mes fesses pour m'extraire de la chaise, ramper vers la cafetière et ... Pas de cafetière. Comment ? Quelqu'un d'autre est venu là ? Sûrement une blague d'Antoine ... Tant pis, j'opte pour une douche rapide et j'éluciderai ce problème plus tard. Prendre une douche et en sortir me prend presque autant de temps que tout le reste. Soit une éternité. La première serviette y passe, et mes yeux semblent enfin apte à fonctionner. Je frotte énergiquement mon visage, passe négligemment dans mes cheveux et entoure ma taille avant de virer la buée du miroir d'un geste las.
Minute papillon.
Je répète la manœuvre, fronçant les sourcils et plissant les yeux en fixant quelque chose dans le reflet. Derrière mon dos, des sous-vêtements pendus au chauffage à serviette attirent mon regard. Sauf erreur de ma part, je ne possède aucune ... Lingerie fine en dentelle. Je me détourne aussitôt, vérifiant que je ne rêve pas. Non, ils sont bien là. Et soudain tout s'éclaire. Mon cerveau n'est pas à l'envers, c'est bel est bien l'ordre des meubles. Les chambres de beaucoup d'hôtels fonctionnent ainsi. Ce qui explique la disparition de la cafetière. Mais pas ce que je fais dans la chambre ... D'une inconnue, visiblement. Lentement, je sors de la pièce sur la pointe des pieds. Je me sens comme un voleur, et j'ai peur de ce que je vais trouver ici. Alors que j'avance lentement jusqu'à la chambre, dans ma serviette, je déglutis en ouvrant lentement la porte. A pas de loup, une main nouant toujours le tissue autour de ma taille, j'avance vers les couvertures blanches et épaisses. Impossible de deviner la silhouette d'une femme sous l'amont de draps trop hauts. Diverses questions s'entassent dans ma tête, mais surtout : Qu'est-ce que j'ai fait comme connerie ?
Ma main libre approche lentement des draps, et d'un coup sec, je la tire. Le soupire de soulagement qui s'échappe de mes lippes résonne dans la pièce. Mais le soulagement est de courte durée. Je ne suis toujours pas dans ma chambre. Il y a des vêtements de femme et mes cheveux sentent le foutu jasmin. Je connais cette odeur ... Je fronce les sourcils, sortant doucement de la chambre avant de tomber nez à nez avec une petite brune tenant une tasse à l'effigie du Tardis* dans la main. Vêtue d'un T-Shirt si grand qu'il est impossible de savoir si elle porte quoi que ce soit en dessous.
A sa main, des vestiges de tatouage au henné ne me trompent pas. Mes prunelles se lèvent lentement jusqu'au visage neutre d'Emma, qui me fixe platoniquement. Elle inspire longuement l'air, sourcils froncés, bouche ouverte, avant de les rejoindre, les pincer, puis lever les yeux au plafond. Même exercice, jusqu'à ce qu'elle parvienne enfin à articuler :
« - T'as pas vu mon paquet de chips ? »
Attendez, quoi ?
* Goodies en lien avec la série Doctor Who.
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Et voilà pour le prochain, navrée pour le temps de publication de ce dernier, j'avais totalement oublié de poster ! My bad. J'espère que la suite vous plaît et vous donnera envie d'avancer dans ce récit. Je vous souhaite une très bonne journée et à très vite !
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Routes croisées. Vol.1 : ELLE ( 1er jet )
General FictionBande-Annonce : https://youtu.be/LJnNDD2bfwk « - Trinquons ! - A quoi ? - L'amitié. » Peter Pierce est un Journaliste qui grimpe l'échelle sociale. Il fait partie intégrante de ces vedettes que les médias s'arrachent. En apparence, c'est un casse-c...