Crap, crap, crap again.

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Le lundi matin, j'ai la gueule de bois du siècle. Ca me tape à l'arrière du crâne et m'assomme, me comprime les tempes jusqu'à me donner envie de rouler par terre, puis jusqu'à la fenêtre. Faire le grand plongeon jusqu'au sommeil salvateur, définitif. Forcément, prenez une cuite en pleine nuit, et attendez que cette foutue garce vous tombe dessus le surlendemain. J'aurai dû m'y attendre. Je râle en levant une main en l'air, tentant de faire fuir les rayons du soleil qui s'échouent sur mon visage sûrement blafard. La veille a été une véritable course-poursuite. Contre la montre, et après mes affaires. Je crois que j'ai aussi tenté de faire le remake du petit poucet ce soir-là, parce qu'une bonne partie de mes effets se sont retrouvés un peu partout aux quatre coins de Paris. Mon portefeuille, à mon grand soulagement, se trouvait simplement dans la voiture du taxi qui m'a immédiatement reconnu sur la carte d'identité. Ces gars voient tellement de visages en une journée, que ma notoriété s'est vue s'offrir une utilité pour la première fois depuis des semaines. En revanche, lorsque le maître d'hôtel m'avait reçu pour me rendre ma veste et mon aumônière, ce dernier s'est révélé bien moins aimable et commode qu'à son habitude. Presque rustique, lorsqu'on songe à ses manières polies mais excessives qu'il nous impose à chaque rencontre. Les autres clients et moi, j'entends.

Le plus dur, ce sera de retrouver ma dignité. Elle s'est échouée quelque part, dans une ruelle sous un lampadaire, à la lumière des étoiles et dans la flaque de pisse d'un SDF. Juste avant que je ne fuis dans ce taxi avec Emma. Je n'en reviens pas d'avoir osé foutre un tel bordel, devant Mélanie, qui plus est. Cette garce reviendra bientôt à la charge pour me foutre ce petit écart de conduite en pleine gueule. Morue. Mais force est de constater qu'il faudra bien que j'affronte St Claire et son courroux. C'est inévitable, je sais que je l'ai bien mérité. C'est sur ce constat navrant que je bouge enfin mon cul et mes hanches endolories, cherchant à atteindre la porte de ma salle de bain. Il me faut pratiquement une demi-heure pour me redonner figure humaine et donner l'illusion que toute ma fierté ne s'est pas fait la malle deux nuits plus tôt. Ou alors, c'était avant, avant que je réalise que je partais droit dans le mur avec Mélanie ? Je sais de quoi j'ai besoin ... Je souffle un bon coup, me raclant la gorge en fixant mon reflet. Je dois bomber le torse, faire mon regard de grand connard éhonté et foncer droit dans le bureau de St Claire. ( Et surtout pas sur St Claire.  )Ouais, je vais faire ça tiens.

-

Fermé. Je fixe la porte en clignant des yeux, puis les autres ouvertures vitrées. Je recule, levant le menton pour observer le haut du bâtiment vitrée. Les nuages s'y reflètent comme des milliers de tâches turquoises. C'est quoi ce bordel ? Un agent d'entretien passe derrière mois, un balai sur l'épaule et une casquette enfoncée sur le crâne.

« - B'jour, M'sieur Pierce, me salue l'homme d'une cinquantaine d'années d'un air jovial, le sourire aux lèvres.

Mes sourcils s'arquent boute au-dessus de mes iris opales. C'est quoi ce délire ? Je me détourne pour aviser le trottoir, puis le bâtiment juste en face du nôtre. Jeanne, la secrétaire du premier passe devant moi, armée du même étirement de lippes joyeux. Même mascarade avec elle. Qu'est-ce qu'ils ont tous dans le fion, merde ? Je torture ma lèvre inférieure avec mes dents, pivotant sur place pour contourner le bâtiment. Toutes les portes sont fermées, pas de panneaux, pas d'affiches ... Je sens les rouages de ma cervelle grincer et cesser de tourner, prêts à exploser. Tout s'effrite dans mon crâne. Le pire est arrivé, j'ai dépassé les bornes. Je déteste cette situation ... si précaire. Je marche sur un fil de rasoir où tout m'échappe, je ne saisis plus rien. Je ne suis qu'un pauvre ignare perdu au bord d'un trottoir. Merde, merde et triple merde !

- J'peux vous aider ?

Ma vision périphérique perçoit une ombre. J'incline le menton, d'une moue lasse et blasée, haussant un sourcil avant d'observer un type de la compta. Je me souviens vaguement de lui, sans pour autant pouvoir mettre un nom dessus. Je le tiens presque, Jimmy, Jean, Jeannot ... Bref.

- C'est fermé, je réponds d'un ton agacé.

C'est pourtant évident, et même si mon agressivité passive  semble surprendre Monsieur costard-cravate, il hausse les épaules avant de rétorquer avec affabilité :

- Vous ne lisez pas vos mails ?

Mais mails ? Devant mon silence plus que révélateur, il continue :

- Le rez-de-chaussée est fermé pour travaux toute la matinée, même la journée. On a plus accès à rien tant que les gars du chantier règlent pas la solution. Vous savez, tenter de foutre le feu et réussir à cramer une partie de l'accueil, ça a ses conséquences. Mais vous en faites pas, vous avez fait des heureux aussi.

C'est donc ça ... 

Et ma main dans ta gueule, elle en a des conséquences ? Je le vois bien, ce petit sourire perfide. Je suis la nouvelle rumeur du jour, le nom qui frôle toutes les lèvres et papillonne au vent, s'échouant sur d'autres lippes inconnues. En cycle perpétuel ... Et ce jusqu'à ma mort.  C'est bien ma veine. Je le remercie maladroitement, tournant les talons pour extraire cette vision parasite de mes prunelles dilatés. C'est physique, il y a un truc que je ne peux pas sentir chez ce mec. Mais à peine ai-je fait un pas que je percute un torse, puis une tête et une paire de lunettes. Je cligne des yeux une ou deux fois avant de me décaler. St Claire m'observe, la gueule en U inversé. 

- Il faut qu'on parle, Pierce. »

Eh merde, cette fois c'est bon.

Je suis fait comme un rat. 

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Lentement mais sûrement ... Tout petit chapitre, je sais ! Mais promis, j'essaie d'être régulière. J'espère que la lecture vous convient, j'ai hâte d'avoir vos retours. Bonne journée/soirée. 


Routes croisées. Vol.1 : ELLE ( 1er jet ) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant