Speak, Emma.

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Un pigeon. Voilà ce que je suis. Le plus gros pigeon du siècle, l'imbécile le plus crétin qui soit. Mais quel connard ! Le cul sur le trottoir, je fixe le morceau chiffonné du journal. A force de le lire et le relire, je n'arrête pas d'abîmer le papier. Dont plusieurs autres exemplaires continuent de voleter sur le sol humide, s'accrochant parfois à l'Asphalte. Emma est à côté de moi, les bras enfoncés entre ses cuisses relevées. Son pied n'arrête pas de taper frénétiquement le sol, je la vois même se mordiller la lèvre inférieure. Du mascara s'éparpille encore sous ses cils et sur ses cernes violacées. Elle a l'air aussi épuisée que moi, mais franchement, j'ai pas envie de compatir. Est-ce le gros titre disant que, je ne sais trop comment, on a failli foutre le feu à la femme du vice-président d'une association de machin truc (J'étais trop bourré pour retenir quoi ou qui que ce soit.) Non, ce qui m'obsède réellement, c'est le nom placardé en gras, énorme. Ce petit salopard me nargue. Je me demande comment j'ai pu passer à côté d'un truc pareil.

« - Peter ... Tente Emma pour la énième fois, risquant un petit coup d'œil en biais. Je l'ai jamais vue se faire aussi petite. 

Je sais pourquoi. C'est parce que là, je la tiens. Je savais que mon obsession pour cette fille était justifiée !

- La ferme. Que je grogne sans lâcher l'article des yeux.

Maintenant, le café est froid, mais je sens encore ma poitrine me brûler. Ca chauffe tellement que je vais avoir des marques pendant des jours. Mais je m'en moque totalement. Et, sans prévenir, je me redresse d'un coup pour m'étirer de tout mon long, sentant des milliers de courbatures le long de mon échine. Comment j'ai pu passer à côté d'un truc pareil ! Etrangement, la brune s'est exécuté, ses yeux noisettes fixant obstinément un même point invisible. Je soupire longuement, cherchant mon paquet de clopes à tâtons avant de râler. Bien-entendu, je n'ai rien sur moi et je ne sais même pas où sont mes papiers et mon fric.

- On  va pas rester comme ça éternellement, soupire Emma en se redressant sur ses petits pieds, soudain très lasse. Ecoute, laisse-moi t'expliquer, tu veux ? Discutons de tout ça tranquillement et ...

Mon sang ne fait qu'un tour dans tout mon organisme, remontant jusqu'à mes narines, je dois être rouge pivoine avec ma poux de roux.

- T'es une putain d'hypocrite, Emma ! Ton speech de merde sur les pseudo-connards de journalistes. Ca te va bien, St Claire !

Ouais, vous avez parfaitement entendu. Emma St Claire. Ca vous revient pas, vous êtes certain ? Alors remontons en arrière, car d'un seul coup, tout est parfaitement clair. Sans jeu de mots, je ne déconne pas. Je sais pourquoi elle montait jusqu'au bureau du Directeur maintenant, pas étonnant, lorsqu'on porte son nom de famille.

- T'es qui au juste ? Je lâche en faisant les cents pas, me foutant bien – une fois encore- des regards lourds qui se posent sur nous. Comme mille paires d'yeux vicieux et pervers.

La brune soupire longuement, se passant une main dans les cheveux avant de se racler la gorge.

- Pas ici. S'il-te-plaît.

Elle est nerveuse, ma colère est aussi excessive que son angoisse. Ce n'est qu'un nom, mais ça semble cacher bien plus. Mon agacement redescend légèrement, et je soupire longuement avant de capituler. Ma main lui fait signe d'avancer et mes pieds rampent d'eux-mêmes sur le sol. J'ai cherché à connaitre Emma. Je l'ai approchée alors qu'elle me repoussait hors de son petit cocon douillet et confortable, de cette sécurité factice dont elle avait tant le secret. Et aujourd'hui, la jeune femme était affectée par ma colère. Du moins, ce je crois. Car c'est forcément improbable. On ne se connait pas, on se voit de temps à autres et à chaque fois, pour se chamailler. Je ne suis pas narcissique, je ne me tient pas pour responsable directe de son trouble et sa soudaine anxiété. Lorsqu'on arrive enfin jusqu'à la chambre d'Emma sans avoir échangé un seul mot, je me dirige directement vers le fauteuil du salon spacieux. Et voilà ce qui lui permet de vivre dans un hôtel de luxe avec un revenu de serveuse. C'est une St Clair, évidemment. Là, tout s'explique, cette fille n'est pratiquement plus le mystère après lequel je courrais.

Routes croisées. Vol.1 : ELLE ( 1er jet ) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant