Tome 3 : LOVE ME

25 - AARON

J'observe Mitch qui s'est contenté d'essayer de me briser les phalanges lorsque je lui ai serré la main en arrivant sans m'adresser un mot. Il discute avec Alyssa depuis presque quinze minutes de tout et de rien et je suis en train d'essayer de trouver la meilleure façon de lui faire comprendre que je ne suis pas le connard qu'il pense que je suis. C'est drôle parce qu'il n'y a pas si longtemps, je voulais précisément l'inverse; que tout le monde pense que je ne suis qu'un connard. Je crois que finalement c'est plus facile de faire croire qu'on est mauvais que de faire voir qu'on est bon.

— Tu peux emmener ça sur la table ? Lance ma sœur en me tendant tout un tas de couverts.

Je m'exécute machinalement, contrarié par le fait que le père d'Alyssa me déteste. J'ai merdé, c'est vrai mais, je l'aimais bien ce mec. J'espérais que sa colère se soit atténuée depuis le temps mais, j'ai l'impression que sa volonté de protection paternelle est trop grande pour effacer ce que j'ai fait à sa fille. Stan vient m'aider à mettre la table et quelques minutes plus tard ma mère se ramène avec un plat qu'elle pose fièrement devant elle. Elle n'a jamais eu l'air si heureuse et je reconnais que ça fait longtemps que l'on avait pas réuni autant de monde dans cette grande maison qui m'a toujours semblé complètement vide et sans vie.

Je remarque que Mitch s'assoit en face de moi sans manquer de m'assassiner du regard et le sourire en coin de Lilly ne m'échappe pas. Ça doit la faire bien rire de me voir aussi emmerdé par la situation.

Je passe ce premier dîner les yeux rivés sur les aliments dans mon assiette, n'ayant pas vraiment l'appétit ni la force de participer aux différentes conversations. Je me contente de sourire ou de hocher la tête quand il le faut sans vraiment y mettre du cœur. Être ici ne m'a jamais plu encore moins être réuni en « famille », c'est un concept qui me semble vraiment absurde pour le coup. Quand enfin ce supplice touche à sa fin, je saisis ma chance de quitter la table et de sortir pour m'allumer une cigarette et souffler un peu loin du regard accusateur de Mitch, de celui fuyant d'Alyssa et de la bonne humeur écrasante qui règne ici. J'ai toujours du mal à croire que nous puissions être heureux. Il y a toujours cette peur au fond, celle qui me fait croire qu'on va venir me retirer cet infime bonheur d'un moment à l'autre.

Il est déjà tard et le quartier est calme. Il fait plus froid que ces derniers jours mais il n'y a pas de vent faisant de cette nuit une nuit particulièrement silencieuse. Je ferme les yeux en tirant sur ma cigarette et apprécie la sensation de la fumée qui trace son chemin jusqu'à atteindre mes poumons. Je souffle enfin, réduisant l'anxiété qui s'empare de moi à chaque fois que la situation devient trop belle. Avant, le calme ne faisait qu'annoncer la tempête et il m'est difficile d'oublier qu'un sourire s'efface plus rapidement qu'il ne se crée.

La porte s'ouvre dans mon dos et je fais comme si de rien n'était quand je m'aperçois que c'est le père d'Alyssa qui me rejoint. Il n'a pas été aussi con que moi et a enfilé un manteau avant de sortir. Il souffle en fourrant ses mains dans ses poches me faisant clairement comprendre qu'on se les gèle.

— Tu ne devrais pas fumer. Dit-il sans méchanceté.

Je regarde le mégot entre mes doigts ne pouvant m'empêcher de rire jaune, me tuer la santé est le dernier de mes soucis.

— C'est bien le genre de phrase débile qu'un père sort, ça. Fais-je remarquer en tirant de nouveau sur ma cigarette.

Il sourit amusé et attrape une chaise posée près de la table du jardin. Il l'essuie du revers de la manche et s'y installe tout en remettant ses mains dans ses poches. Il me détaille un long moment l'air pensif et je ne le quitte pas des yeux assumant tout ce que j'ai fait, je ne suis pas du genre à fuir les regards même lorsque je suis en tort.