La Traîtresse (1)

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Les tintements des larges cloches du cardigrê faisaient vibrer l'air à l'intérieur de l'immense cathédrale. Cassandra les sentait résonner dans sa poitrine comme de violents battements de cœur, aiguillant ses doutes, attisant son appréhension. Soudain, le regard de Raven, auquel elle s'était raccrochée tout le long de la cérémonie, ne parvenait plus à l'ancrer dans cette réalité. Il se tenait debout à côté d'elle, habillé de pourpre et de blanc, aussi droit et majestueux qu'il pouvait l'être en tant qu'adulte récemment sorti de l'adolescence. Il avait coiffé ses cheveux noirs mi-longs en natte aplatie à l'arrière de sa tête, et sa lourde couronne ceignait son front. Il portait tous les insignes de pouvoir, depuis la longue cape rouge brodée de blanc jusqu'à la main d'or d'Esga, que lui avait remise le prêtre pour la cérémonie, en passant par une infinité de colliers et de bracelets qui pendaient le long de ses vêtements.

Et, derrière tous ces ornements, ces vêtements et ces marques de pouvoir, Cassandra ne voyait qu'un jeune homme pâle, trop jeune pour être Empereur, qui bientôt ne le serait certainement plus. Elle voyait l'opraki, le grand conseiller du trône et principal prêtre d'Esga, l'approcher lentement, tenant dans ses mains un coussin de brocart sur lequel reposait la Couronne, mais son esprit s'était perdu ailleurs, dans les souvenirs des préparatifs. Les aiguilles de ses couturières attitrées, leur patience à toute épreuve, leurs yeux vigilants qui traquaient la moindre imperfection dans la robe. Les mains griffues de Mayeri qui tiraient ses cheveux en arrière, le lourd silence qui régnait dans la pièce.

— Jures-tu, Cassandra Zaor'Vil, de servir le peuple d'Avalaën, de le protéger et de l'aimer, de remplir tes devoirs de souveraine dans la justice et la foi ?

Elle ne put manquer le grommellement nerveux qui, malgré le temps écoulé, parcourut la foule de nobles venus assister au sacre. Le temps n'effaçait jamais tout, et surtout pas la haine.

— Je le jure sur le nom d'Esga.

Parjure, songea-t-elle. Elle commencerait donc son bref règne en traînant le nom de la divinité protectrice d'Avalaën dans la boue et le sang. Un bref sourire nerveux lui échappa lorsqu'elle croisa le regard de Raven, qui fixait d'un regard songeur le ruban de soie violette qui liait leurs poignets.

— Alors relève-toi aux côtés de ton époux, Aveltia Sen. Vous êtes désormais unis en un seul être devant Esga. Vous serez pour l'un et l'autre la foi, la force, et le regard clairvoyant qui vous empêchera de transgresser la justice.

Tandis qu'elle se relevait, la couronne entra en contact avec sa tête, glissa dans ses cheveux jusqu'à se loger en équilibre entre ses larges boucles, lourde et froide, étrangère. Elle dut presque lutter contre le poids de l'or serti de rubis pour se redresser totalement et saisir la main de Raven, et elle vacilla à nouveau lorsque la lourde mante pourpre, identique à celle de son nouvel époux, fut déposée sur ses épaules. Seul le bras de Raven, discrètement tendu pour l'aider à se maintenir debout, la retint. Ils pivotèrent lentement ensemble, alourdis tous les deux par leurs ornements, firent face à la Cour qui s'était rassemblée pour le couronnement.

— Leurs Grâces Raven et Cassandra d'Avalaën, puissent-ils longtemps régner.

Cassandra Zaor'Vil.

Cassandra la Maudite.

Cassandra de Wikandil.

— Puissent-ils longtemps régner, répéta sentencieusement le public.

Suivant le rythme de la cérémonie, main dans la main, les nouveaux époux s'engagèrent le long de l'allée centrale vide en direction des portes qui donnaient sur la ville. Raven souriait, pleinement satisfait. Cassandra souriait aussi, mais son sourire était crispé par la situation et la vérité qu'elle était encore la seule à connaître. Un chœur mixte caché dans les balcons en hauteur de l'immense cardigrê accompagna leur progression d'un canon magnifique, mais la jeune femme était incapable d'apprécier le chant à sa juste valeur. Elle avait la terrible sensation du regard de sa mère qui pesait sur ses épaules, alors qu'elle savait bien que c'était impossible.

Dynasties / CassandraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant