L'Usurpatrice (4)

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À la réunion du lendemain matin, elle croisa à nouveau Esirath, et elle lui parla comme si de rien n'était. Ils débattirent de fortifications, de camps, de recrutement, sous l'œil acéré des ministres avaloniens qui espéraient grapiller au moins une once de pouvoir, un semblant de possibilité d'intervenir pour placer une phrase et prouver leur utilité. Mais ni Cassandra ni Esirath ne trahirent une seule fois, ni dans leur voix ni dans leur attitude, la discussion qu'ils avaient eue la veille. Au départ, Cassandra mit même un point d'honneur à ne pas laisser transparaître qu'elle avait fait son choix, même si elle le vit plus d'une fois l'observer intensément, l'air concentré. Mais très vite, les heures se prolongèrent, et bien vite, et elle s'oublia dans les affaires de l'Empire, si bien qu'elle finit par ne même plus songer à la proposition qu'il lui avait faite.

Aux alentours de midi, les serviteurs ramenèrent un repas dans la salle de réunion, et plusieurs heures plus tard encore, un service de thé complet, le tout sous les ordres silencieux de Mayeri. Épuisée par les discussions qui s'éternisaient, parfois autour d'un point aussi absurdement sensible qu'une virgule mal placée dans un édit impérial, Cassandra la bénit en silence de veiller sur elle ainsi. Elle exigea des conseillers une véritable pause, puisque le repas de midi n'avait été qu'un mince prétexte pour se taire entre deux bouchées de viande et parler politique malgré tout le reste du temps, puis de s'y remettre d'autant plus vite qu'ils avaient l'estomac plein. Ainsi, le thé fut un répit bienvenu puisque, lorsque certains firent mine d'outrepasser sa demande pour discuter malgré tout à voix basse, elle les fit sortir de la pièce. Dès lors, un silence absolu, à peine rompu par les bruits des tasses et des cuillères, tomba.

Cependant, même si elle aurait adoré que la paix se prolonge, elle finit malgré tout par se terminer lorsque toutes les théières furent vidées et que les autres personne dans la pièce recommencèrent à la regarder avec une insistance mêlée de méfiance, n'osant guère lui dire qu'il était temps au risque de se faire chasser, mais essayant malgré tout de faire passer le message discrètement.

— Très bien, soupira-t-elle avec un sourire fatigué. Reprenons.

Et les discussions qu'elle aurait pensé oubliées furent relancées aussi sec. Elles se poursuivirent jusqu'à l'heure du souper, et se seraient encore éternisées jusqu'au milieu de la nuit si elle n'avait fini par se lever et fait signe au scribe de remballer ses affaires.

— Je suis navrée, messieurs, mais ce souper est une célébration qui était prévue depuis fort longemps et je ne peux y couper. Merci beaucoup pour votre temps aujourd'hui, nous reprendrons demain.

Il faillit y avoir des protestations, puis ceux qui avaient passé une vingtaine de minutes dehors se rappelèrent comment elle avait exigé qu'ils sortent lorsqu'ils avaient essayé d'interrompre l'heure du thé, et ils reconsidérèrent leur idée. Satisfaite, elle lissa sa longue robe, froissée après tant d'heures passées assise, se dirigea vers la porte avec un soupir de soulagement intérieur. Les couloirs lumineux, hantés par une masse grouillante de courtisans qui la saluaient à tout instant et à qui elle se devait de répondre, lui parurent infinis. Elle faillit se décider à emprunter un corridor de service pour se faire plus discrète, mais parvint finalement à garder une maîtrise suffisante d'elle-même pour dire bonsoir à tous ceux qui passaient et parvenir malgré tout jusqu'à sa chambre. Là, elle n'attendit même pas que Mayeri ferme soigneusement la porte pour s'affaler sur son lit avec une plainte sourde.

— Par tous les esprits de la forêt...

Déjà, Mayeri lui faisait préparer un bain chaud. Elle se débarrassa de ses vêtements aussi adroitement qu'elle pouvait en n'ayant presque aucune marge de manœuvre avec les larges manches bouffantes – il faudrait vraiment qu'elle exige un changement dans la mode vestimentaire du palais – et plongea presque la tête la première dans la baignoire de cuivre pour s'y noyer. Mais, bien vite, le souvenir de la conversation de la veille revint la hanter, et son humeur vira au maussade. Elle s'immergea dans l'eau jusqu'au ras des oreilles, malgré la grimace évidente de Mayeri qui serait chargée de rattraper l'état des racines humides de ses cheveux relevés après qu'elle soit sortie. Elle persista malgré tout dans la baignoire jusqu'à ce que l'eau soit tiède, et finit par sortir à contre-cœur, peu encline à passer la soirée sur ses pieds, à danser avec tous ceux qui quémanderaient ses faveurs. La cour venait de se transformer en champ de bataille, et c'était une mêlée générale qui l'attendait. Elle qui était la seule à porter l'étendard, désormais, se ferait assaillir de toutes parts.

Dynasties / CassandraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant