La Traîtresse (5)

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Cassandra passa une bonne demi-heure à arpenter le palais d'un bout à l'autre, cherchant une trace de sa mère dans les corridors inhabituellement déserts. Généralement, à cette heure, les courtisans avaient fini d'émerger de leur somme matinal, avaient pris leur petit-déjeuner seuls ou en famille, et commençaient à se réunir dans les petits salons et salles de jeux. Aujourd'hui cependant, une ambiance pesante planait sur les couloirs, et le silence était trop dense pour que les murmures portent au-delà de quelques pas. Devant Cassandra, les rares passants s'écartaient avec une crainte et une déférence certaine, les motifs de feuilles de l'armée de Wikandil juste assez apparents sur les cuirasses des gardes pour véhiculer le message. Le calme d'une tempête naissante régnait, ce qui était d'autant plus inquiétant que Laëtitia était introuvable.

Elle finit par entendre un écho de rumeur de la part des gardes de la délégation wiccane, qui mentionnaient la crypte. Doutant de la véracité de ces propos, mais incapable de les réfuter puisqu'elle n'arrivait pas à trouver sa mère ailleurs, Cassandra finit par faire le tour du palais pour se diriger vers la chapelle attenante dans laquelle elle avait procédé à la cérémonie de l'Abandon. Elle laissa ses gardes sur le pas de la porte malgré leur réticence, ayant déjà remarqué le second détachement qui patientait non-loin. Puis, elle s'engagea en silence dans la chapelle vide, adressa un bref signe de tête à la prêtresse qui s'était occupée d'elle la veille, contourna l'autel. Elle n'était jamais descendue elle-même dans la crypte impériale, n'y ayant évidemment pas le droit d'accès, mais cela avait changé désormais.

Derrière le large autel de pierre, il y avait une volée d'étroits escaliers en colimaçon. Elle les descendit précautionneusement, tâtonnant les murs pour se repérer lorsque la clarté de la chapelle se fit distante. Un silence agréable régnait entre les pierres froides, uniquement rompu par le bruit de ses chaussures qui chuintaient contre la roche. On était loin du poids des non-dits qui alourdissaient l'ambiance dans le palais, des incertitudes qui planaient, des murmures qui n'osaient pas s'élever.

Puis, enfin, elle arriva en bas, et au lieu de l'obscurité à laquelle elle s'attendait, elle aperçut les ondoiements orangés d'une torche qui découpaient la silhouette noire d'une femme. Elle s'arrêta un instant, hésita, puis appela doucement :

Hvear ?

La silhouette frémit, pivota, et les boucles blondes des cheveux brillèrent d'un or rouge dans l'éclat des flammes.

— Cassandra.

Abandonnant toute retenue, Cassandra s'avança précipitamment, et plongea dans les bras de sa mère sans se préoccuper de la torche levée ni de sa retenue.

— Tu m'as manqué, murmura-t-elle.

— Tu ne m'as pas appelée Merake, releva Laëtitia en wiccan.

— Pourquoi le ferais-je ?

Elle se détacha lentement, recula pour observer sa mère, notant enfin sa froide distance, ses traits imperturbables. Un halo chaud et doux entourait son visage, mais ne parvenait pas à adoucir la rudesse de son expression. Elles avaient le même nez fin, aplati au bout, le même menton effilé, les mêmes yeux d'un violet améthyste En fait, à l'exception des rondeurs des joues de Cassandra, on aurait pu croire à une parfaite copie, à des jumelles dont le temps se serait écoulé différemment. Laëtitia portait son âge sans crainte ni honte, une cinquantaine d'hivers bien avancés, tandis que Cassandra atteignait tout juste les vingt. Les premiers cheveux blancs se perdaient encore dans ses boucles couleur blé, mais les ridules de sa mère s'étaient creusées durant les deux étés où elles ne s'étaient pas vues.

— Tu as vieilli.

— Cela arrive quand je ne bois pas le sang de jeunes vierges innocentes.

La plaisanterie cynique leur tira à toutes les deux un bref sourire. Laëtitia en avait été accusée lorsqu'elle régnait aux côtés de l'empereur Karo. Haïe pour sa beauté, sa froideur et ce que le peuple associait à de la cruauté, elle n'avait jamais été aimée par personne à la Cour. Cela avait rendu son départ d'autant plus facile.

Dynasties / CassandraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant