Cassandra avait longtemps marché après cette séance du conseil qui avait failli tourner au fiasco, ruminant en silence des souvenirs du passé. Elle ne parvenait pas à trouver une signification plausible aux expressions de sa mère, mais elle ne parvenait pas non plus à se convaincre qu'elle les avait imaginées. Elle avait vu la peur, la haine, presque viscérales, peintes sur le visage de Laëtitia Zaor'Vil en nuances d'expressions qu'elle ne manifestait sinon jamais. Elle qui supportait mal l'odeur du sang depuis sa première visite sur un champ de bataille avait presque elle-même ressenti la soudaine soif de sang qui émanait de sa mère comme une aura écœurante.
Sans trop savoir comment elle en était arrivée là, elle se retrouva dans les jardins impériaux, au pied de l'orme centenaire sous lequel elle s'était réfugiée presque tous les jours après son arrivée à Avalaën. Elle n'y était plus retournée depuis l'arrivée de sa mère. L'arbre, qui lui rappelait tant Wikandil durant la période où elle tentait de se fondre dans la masse, avait été un refuge et un havre de paix jusqu'à ces dernières lunes où, prise dans le tourbillon de ses nouvelles responsabilités, elle n'avait plus eu le temps d'y retourner.
D'un geste vague, anxieux, elle chassa son escorte et s'assit précautionneusement dans l'herbe, avant de se laisser aller contre le tronc de l'arbre. La sensation familière de l'écorce rêche, réchauffée par le soleil, apaisa ses battements de cœur erratiques, elle se laissa aller à fermer les yeux.
Quelque chose avait changé depuis le retour de sa mère, elle en était désormais certaine. Le mal-être qui l'avait habitée des lunes durant, qu'elle avait tenté de ravaler comme un arrière-goût amer, s'était déversé aujourd'hui dans sa bouche et refusait de partir. Elle poussa un long soupir, affala sa tête contre le tronc épais, et se laissa sombrer dans les réminiscences de celle que sa mère avait été, cherchant une trace de cette folie qui avait un instant hanté ses iris.
Un sourire dans les yeux, elle fixait l'enfant qui lui faisait face. Il faisait une bonne tête de plus qu'elle, peut-être le double de son poids. Elle avait toujours été petite et menue, tandis que lui, même s'il n'avait certainement que quelques saisons de plus qu'elle, avait grandi sous le régime intraitable de l'armée. Il devait être nouveau dans la cité cachée d'Ysilvar, sinon jamais il n'aurait osé la défier ainsi.
— Alors, brindille ? nargua-t-il.
Elle se souvint de sa mère qui se tenait face à des hommes pareils, dans le même rapport désavantageux de taille et de poids. Et elle sut, au moment où il se ruait sur elle, qu'elle ne flancherait pas.
Malgré tout ce qu'elle avait appris de ses professeurs militaires, les coups percèrent ses défenses. Elle rabattit ses coudes devant son visage pour se protéger comme elle pouvait, rendit deux ou trois coups de pied inefficaces. Elle se sentit submergée, mais refusa de ployer, craignant davantage le regard polaire de sa mère que les coups de ce gamin.
Puis, soudain, la tempête s'apaisa aussi soudainement qu'elle s'était déchaînée. Cassandra rouvrit un œil trouble, avisa le garçon agenouillé dans la boue, une expression de révérence craintive sur ses traits. Elle s'inclina à son tour, bien moins bas, mais bien plus solennellement.
— Hvear, salua-t-elle d'une voix éraillée par les coups.
Sa mère lui rendit un simple haussement de sourcils, se tourna vers le gamin qui, soudain, ne savait plus où se cacher.
— Dis à ton père de se présenter à mes gardes ce soir. Et tu devras l'accompagner.
Il hocha la tête, muet.
Onze hivers s'étaient écoulés depuis cette rencontre, et le gamin et son père avaient survécu à cette âpre première rencontre, épargnés par la bienveillance de la petite fille qui avait plaidé pour eux devant sa mère. Leith et elle étaient même devenus amis par la suite.
VOUS LISEZ
Dynasties / Cassandra
FantasyEmpires naissants et royaumes à l'aube de leur gloire, contrées en déclin et cités dépéries. Sur le continent d'Uvrastryn, les souverains se succèdent, le pouvoir change de mains au gré des alliances et des complots. Trois femmes, en des temps diffé...