L'Usurpatrice (6)

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Lorsque le Général Esirath franchit le seuil de la porte dérobée dissimulée derrière une petite bibliothèque qui coulissait sur des rails invisibles, Cassandra avait retrouvé sa sérénité, du moins en apparence. Elle frémissait encore de douleur refoulée au souvenir de la conversation avec Leith, mais elle n'appréhendait plus la soirée qui l'attendait.

Aveltia Sen, salua le général.

Elle le détailla à la volée. Il s'était débarrassé de son plastron qui ne semblait pourtant jamais le quitter, de son élégant pourpoint de velours, de sa longue cape. Il n'était qu'en pantalon noir, serré à la ceinture et aux chevilles, avec une chemise de lin et une veste aux épaulettes rigides. Pour autant, il n'en paraissait pas moins dangereux que d'habitude, ni même plus négligé. Il semblait simplement s'être délesté du poids des responsabilités officielles, pour n'être qu'un soldat au repos.

— Cassandra, corrigea-t-elle d'une voix douce.

Il inclina la tête avec un sourire.

— Je t'écoute.

— Comme je le disais, exposa-t-elle après une brève inspiration, j'accepte cet accord, mais à certaines conditions.

Comme elle ne disait rien de plus, il pressa :

— Qui sont ?

— Qui sont les suivantes : premièrement, je ne serai pas une marionnette entre tes mains.

Esirath inclina la tête comme si cela allait de soi, mais elle savait bien que c'était loin d'être le cas.

— Tu m'apprendras ce que je ne sais pas faire, tu ne profiteras pas de mon incompétence dans le domaine pour prendre le contrôle.

— En bref, je ne me retournerai pas contre toi.

Elle ferma les yeux un instant. Arrivait l'évènement qu'elle ne souhaitait guère mentionner, mais qu'elle était obligée de considérer.

— Second point : s'il advient que des enfants naissent de cette union, ils seront traités comme les miens. Cependant, Yrisbel restera, au moins jusqu'à la majorité de l'un d'entre eux, mon héritière, et ce peu importe si on la retrouve ou non.

Cette fois, Esirath ne répondit pas immédiatement. Il prit le temps de réfléchir à l'idée, d'en soupeser les tenants et aboutissants. Puis, alors que Cassandra commençait à penser qu'il n'allait pas répondre, ou alors qu'il allait refuser et exiger la priorité pour ses propres héritiers, il releva avec un haussement de sourcils :

— Mais Yrisbel est également maudite, non ? Cette affaire matricide est-elle vouée à se répéter ?

— Je nous en débarrasserai ! affirma fougeusement la jeune femme.

Puis, elle réalisa ce qu'elle venait de dire, et elle rougit.

— Ou du moins, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir.

— Très bien. Mais je nommerai aussi pour ma part un héritier qui prendra le relais si Yrisbel n'est pas retrouvée.

Un terrible soupçon, le même que quelques nuits plus tôt, fusa dans l'esprit de Cassandra et glissa le long de sa nuque comme un courant d'eau froide, un terrible présage. Elle le prit en compte, y réfléchit, puis le laissa là où il était, dans son esprit. Ce n'était pas le moment de se lancer dans ce genre de supposition, quoi qu'elle soit dangereusement fondée. Elle préféra donc terminer sur un point qui ne lui était venu que tardivement, mais qui relevait davantage de la stratégie immédiate que de prévisions à long terme.

— Et enfin, c'est moins une clause qu'une exigence liée à la situation, nous n'apparaîtrons pas ensmble au début. Je dois apparaître comme une femme éplorée et abandonnée, grinça-t-elle avec un cynisme noir. Après tout, mon Empereur bien-aimé m'a abandonnée au profit d'une servante.

Dynasties / CassandraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant