L'Usurpatrice (8)

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Le palais avait commencé à bruire, à murmurer. Là où Cassandra passait, les regards la suivaient, les conversations se taisaient, puis reprenaient, plus vives, plus animées. Là où Esirath passait, les soldats se raidissaient, prétendaient ne pas le voir passer, figés dans leur garde-à-vous stoïque, puis échangeaient plus tard, la nuit, dans la caserne. Et le petit peuple du château était pareil à une nuée d'abeilles qui, en bourdonnant, se transmettait l'information. Ils étaient partout, ils voyaient tout, que les grands résidents le veuillent ou non.

C'était donc par le petit peuple que Cassandra et Esirath avaient commencé. Ils avaient pris un simple dîner ensemble, en privé, et par conséquent, une douzaine de valets et de majordomes s'étaient occupés de leur service, en plus des cuisiniers spécialement appointés pour l'occasion. La rumeur était montée, simple mais efficace : le Général dînait en privé avec l'Impératrice. Ce n'était pas suffisant pour pousser les plus stoïques des nobles à s'interroger, aussi avaient-ils recommencé, trois fois au total, en l'espace d'une vingtaine de jours. Bien vite, Cassandra avait commencé à entendre de discrètes allusions sur son passage, et si elle gardait la tête haute et le regard lointain, elle avait dû camoufler son sourire en circulant dans les couloirs.

Et au bal suivant, Esirath et elle avaient décidé qu'ils en avaient fini des simagrées. Restant parfaitement décents, ils repoussèrent d'abord tous leurs prétendants respectifs durant près de la moitié de la soirée. Le général était, malgré son âge assez avancé, la proie de toutes les mères de la petite noblesse qui souhaitaient marier leurs filles dans la haute noblesse, et Cassandra était... un espoir improbable pour les jeunes hommes de devenir Empereur. Elle s'était déjà occupée de repousser poliment les avances des plus hardis et des plus vieux, mais ces dernières lunes, elle avait continué de discuter avec ceux de son âge qui avaient la patience de lui faire la cour et l'intelligence de le faire avec un style irréprochable. Elle s'en voulait quelque peu de rompre leurs espoirs ce soir-là, consciente qu'elle les avait manipulés tout le long pour les faire espérer, mais elle savait aussi que c'était parfaitement nécessaire.

Le parti dissident, qui prônait déjà sa dangerosité et son illégitimité bien avant son mariage avec Raven se faisait de plus en plus véhément à son sujet. Ils exigeaient, si ce n'était pas sa disparition immédiate ou même son assassinat, qu'un conseil soit ré-instauré pour « superviser la jeune Impératrice veuve qui n'est encore guère à l'aise avec les coutumes de notre Empire ». Lorsqu'elle avait entendu cela pour la première fois, elle avait ri. Puis, elle avait cessé de rire en réalisant qu'ils seraient parfaitement capables de l'assassiner dans cet objectif. Or si la disparition de Raven leur avait porté un coup, elle n'avait en rien anéanti leur détermination. Et Cassandra ne conservait pour le moment la main que grâce au pouvoir militaire fermement instauré par sa mère, qu'elle maintenait de son mieux.

Assise sur son estrade, elle commençait à fatiguer lorsque l'occasion se présenta enfin. L'un des musiciens, un étranger venu d'un continent lointain, pinça les huit cordes de son instrument, en tirant une mélodie douce et nostalgique, envoûtante, et Esirath se rapprocha, jouant des coudes dans la masse. Il s'était posté stratégiquement, un peu éloigné, assez pour être indépendant d'elle durant la soirée, suffisamment proche pour soulever déjà quelques questions. En quelques secondes, avant que la plupart des couples ne se soient formés, il s'inclina devant elle, sous les regards mauvais des plus jeunes prétendants, qu'elle avait encouragés sans vergogne dans leurs vaines poursuites ces dernières décades.

Aveltia Sen, m'accorderez-vous cette danse ?

— Avec plaisir, mon cher, accepta-t-elle gracieusement en se levant, soulevant des murmures.

Elle était pour l'occasion vêtue d'une longue robe d'or et de rouge, surmontée d'un corset serré, aux bords si fins et droits qu'ils paraient aussi acérés que du métal. Le haut de ses longs cheveux avaient été coiffés en un chignon complexe, et le bas divisé en deux tresses qui retombaient sur chacune de ses épaules. Ses manches avaient été renforcées d'un tissu rigide aux épaules, découpant sa silhouette en angles et en lignes droites, quelques rares courbes soulignant ses hanches et le dessin de sa taille. Elle souriait, sereine, bien plus assurée qu'elle ne l'était réellement. Son cœur battait dans sa poitrine, trop vite, trop fort.

Dynasties / CassandraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant