La poussière tourbillonnait dans les derniers rayons du soleil. Les spirales effleuraient la lourde carrure d'Izak. Ce n'étaient pas tant les gestes énervés du jeune homme qui provoquaient les remous dans l'air, mais plutôt ses soupirs d'exaspération.
L'échoppe était fermée depuis une heure et pourtant le travail se poursuivait pour le plus grand malheur de son unique employé. Celui-ci ronchonnait bruyamment, assez pour être entendu par son patron, pas assez pour recouvrir les notes de musiques. Au lointain, la brise du soir se déployait comme un serpent s'éveillant de sa longue sieste diurne. Dans ses anneaux arides, le souffle portait les premiers accords timides d'une mélodie.
— C'est déjà l'Heure-Carillon, papa.
Les premiers accords timides qui se répandaient dans le village silencieux n'avaient rien à voir avec les tintements d'un carillon. En réalité, il n'y avait aucune cloche ici. On appelait couramment cette heure de la journée : l'Heure-Carillon. Allez savoir pourquoi. Une habitude à l'origine oubliée comme tant d'autres dans le hameau isolé de Rivade.
Et donc à l'Heure-Carillon, qui correspondait plus ou moins au crépuscule, les premiers accords de musique arrivèrent jusqu'à l'échoppe. Et nous disions donc qu'Izak était en train de ranger l'étal en maugréant...
— C'est tout le temps comme ça, ajouta-t-il à lui-même (mais un peu à son père aussi).
Brelok, derrière le comptoir, égrenait les billes de l'abaque, lui répondit seulement par un haussement d'épaules suivi d'un grognement. Le fils posa les quelques armes aux tranchants émoussés dans leur râtelier bancal. Grâce à la mélodie à peine intelligible qu'il tentait de capter, le jeune homme savait qu'il avait déjà manqué le début du récit. Sur un sommet, appelé la Colline des Aventuriers par les rivois, il se racontait en ce moment même une aventure. Promesse d'une merveilleuse soirée rempli d'actions, d'intrigues, de suspenses, de romances, de dépaysement et parfois encore de quelques fous rires... le tout conté par un étranger de passage. De passage, donc éphémère ! Izak trépignait de rejoindre l'auditoire, hélas il devait aider son père, alors il saisit une étoffe pour nettoyer vigoureusement les cuirs. Comme souvent dans sa tête se mêlaient colère et frustration.
La boutique, parce qu'on ne pouvait pas appeler cet établissement une armurerie, se situait à un endroit central à Rivade. Mais dans ce hameau, il était difficile de vraiment s'éloigner du centre tellement Rivade était petit et coincé entre cours d'eau et forêt.
Malgré son emplacement, l'échoppe accueillait rarement des clients, et c'était bien normal vu la qualité des produits vendus. Épées tachées de rouille, haches légèrement branlantes, arcs détendus et autres boucliers mités, voilà ce qu'on pouvait y trouver en flânant dans ses rayons croulants. À quoi bon tenir un tel magasin ? La question lui revenait souvent en tête. De ses vingt ans, Izak ne pouvait comprendre la réponse. Peut-être ne voulait-il pas non plus l'entendre, tout débordant de fougue qu'il était.
Brelok, son père, n'était pas du genre à bavarder. Un grognement pouvait signifier rien et tout à la fois, un oui ou un non, un soupir de satisfaction ou simplement... un grognement. Cryptique comme un vieux grimoire aux écritures oubliées. Brelok ne s'ouvrait pas aux profanes et ne se laissait pas feuilleter aisément. Un drôle de marchand avec une étrange marchandise pour tout dire.
Grognement justement, il y en eut un second qu'il fit retentir quand les produits furent rangés méticuleusement. Celui-ci signifiait le signal pour que son fils puisse enfin partir. Le jeune homme se précipita à l'extérieur en déchaînant de nouveaux tourbillons de particules. Lorsque les effluves poussiéreux le chatouillèrent, Brelok retroussa les babines sans même jeter un regard à son garçon. Ce dernier était de toute façon concentré uniquement sur la Colline des Aventuriers... « Un tissu de bêtises enjolivé par des mensonges », répétait Brelok à son fils hermétique à ses avertissements. Il n'écoutait plus, il souriait béatement pour rejoindre en vitesse le sommet du village qui essaimait ses accents musicaux.

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Le Cycle des Ramures - Tome 1 : Les Musicéens de Castelbouchon [Terminé]
FantasíaDepuis toujours, Izak écoute avec attention les récits des étrangers de passage dans son village. Il a soif d'aventure, quelque chose le pousse à quitter son nid pour vivre sa propre vie. Justement, lorsqu'un groupe d'arpenteurs se forme devant ses...