56 - Dans la cage

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Les phéromones envahirent la salle comme un tourbillon, et tous se figèrent un instant. Même les Bêtas, surpris, toussèrent, délivrant l'atmosphère de son silence pesant.

Dans la cage, au centre du salon, un Alpha et un Oméga étaient si étroitement liés qu'on aurait dit un seul corps.

L'Oméga poussa un cri, ou un râle, une sorte de son rauque à mi-chemin entre plaisir, douleur et soulagement.

Alors seulement, tout se remit en marche. Les escouades Bêta du Prétendant finirent de menotter les hommes au sol. Les Gardes Présidentiels, tous Alphas, étaient tous des hommes aussi. Comme si la Présidente à Vie, pourtant comme eux, ne croyait pas en la supériorité des femmes Alphas. Ou se méfiaient d'elles, peut-être.

Les prisonniers alphas semblaient tous malades. Quelques-uns se penchèrent pour vomir, mais leurs geôliers, prévenus, firent simplement un pas de côté pour éviter les éclaboussures.

Dans la cage, l'Oméga laissa tomber au sol un hideux sweat orange, dévoilant la cambrure de son dos, ses fesses musclées où les doigts puissants de l'Alpha s'arrimaient, ses épaules presque aussi larges que celles de l'Alpha qui le tenait contre lui, ses bras blancs s'enroulant autour du cou de l'Alpha dont les jambes étaient enfin nues aussi. Ceux qui arrivaient à les observer sans se sentir gênés par cette étrange intimité purent voir que l'Oméga aidait son Alpha à se défaire du reste de ses vêtements, tirant sur ses manches pour faire passer sweat et t-shirt par-dessus sa tête.

Et bientôt ils furent nus et entrelacés, l'Oméga toujours perché dans les bras de son Alpha, son Alpha toujours noué à l'intérieur de lui, les regards soudés et les lèvres entrouvertes. Leurs peaux semblaient luire, dans la lumière artificielle du salon. Comme si les phéromones suintant de leurs corps joints étaient si denses qu'elles pailletaient leurs corps d'odeurs.

Des douzaines de personnes les entouraient, certaines à genoux, d'autres debout et armées, d'autres encore couchées sur le flanc, prises de nausées. Mais personne d'autre qu'eux deux ne semblait exister dans cette pièce. Ils se regardaient et leur immobilité était parfaite. Leur silence si lourd qu'il étouffait le brouhaha de la grande salle.

Les phéromones s'intensifièrent encore.

— Oh, bordel de merde, Jasper !

Une jeune femme aux cheveux rose fluo pénétra dans la pièce et ferma brièvement les yeux, retenant sa respiration pour ne pas suffoquer. Elle remonta sur son visage le masque filtrant qu'elle portait au cou et inspira profondément. Puis elle s'avança vers le chef d'escouade bêta et échangea quelques mots avec lui. Elle était pressée, mais confiante.

Quelques minutes plus tard, les prisonniers furent évacués. Le salon retrouva son calme. Le brouhaha s'éteignit. La fille aux cheveux roses revint dans le salon, et vérifia toutes les ouvertures, les vitres blindées de chaque fenêtre, les clés de chaque porte de service. Elle tira certains rideaux, pour apporter un peu de pénombre, mais pas tous, pour laisser assez de lumière. Enfin, elle sortit, les laissant seuls au milieu du désordre.

Le couple uni au milieu de la cage n'avait toujours pas bougé. Ils se regardaient toujours en silence.

L'Alpha exhala un soupir. Le front de l'Oméga s'appuya au sien.

— Tu devrais t'assoir. On va rester comme ça encore un moment.

— Tu me fais faire tout à l'envers.

— C'est dans nos habitudes.

— C'est vrai.

Jasper fit enfin les trois pas qui le séparaient du lit et s'y assit lentement. Il ne voulait pas prendre le risque de blesser Markus. Ce qui se passait dans leurs ventres était délicat, et les chairs, fragiles. Il s'installa en prenant son temps. Le lit était confortable. Markus se détendit un peu. Il caressa le visage de l'Alpha, qui ferma les yeux et murmura :

— Tu n'as pas idée de...

— Bien sûr que si, j'ai idée.

— Oui. Évidemment.

— Je t'aime.

— C'est la première fois que tu le dis.

— Je sais, Chat. Je t'aime.

— Tu crois qu'ils ont...

— J'espère.

Un long silence. Ils se regardèrent. Ils se regardèrent comme si c'était la première fois et ils ne bougèrent pas. Les minutes s'allongèrent. Et puis, tout bas :

— Ton rut...

— Tout début du deuxième jour. Toi ?

— Premier jour. On a déclenché cette nuit, pour être certains.

— Tu es beau.

Markus sourit. Son regard était lumineux. Jasper ne l'avait jamais vu aussi limpide. Il avait envie de s'y baigner. De ne jamais en revenir. De rester dans les bras et le ventre de son Oméga pour toujours. Pourtant il murmura :

— Tu ne perds pas pieds.

— Non. Pas pour le moment. Tu es noué. Après...

— Après je vais te baiser.

— S'il te plait, oui.

Dans le ventre de Markus, la pression reflua lentement. Jasper posa sa grande main sur le nombril plat de l'Oméga.

— Il est vide.

— Comment ça ?

— Mon ventre. Il est vide. Je n'ai pas pu garder notre bébé.

— Je sais.

— Tu es triste ?

— Oui. Triste de ne pas avoir été là pour vivre ça avec toi. Pour être là pour toi.

— Tu veux m'en fait un autre ?

— Pas maintenant. Plus tard. Quand...

— Tout ira mieux.

— Voilà.

Markus, libéré, se leva et saisit deux stylos injecteurs sous un oreiller. Du même type que ceux qu'utilisent les diabétiques pour leur insuline. L'un était marqué d'un α, l'autre d'un Ω. Il se rassit sur les cuisses de l'Alpha, qui n'avait pas bougé.

— Ce sont des contraceptifs puissants.

— Tu as attendu d'avoir mon avis pour t'injecter le tien ? C'est ton corps, Bébé.

— Ils peuvent faire baisser un peu le taux de phéromones. J'ai préféré ne pas prendre le risque.

— Mais tu m'as quand même demandé.

— Oui.

— Si j'avais dit oui ?

— J'aurais piqué quand même. Dans la cuisse, comme ça, Chat.

— J'en ai souvent utilisé. Je sais faire.

L'Alpha glissa sa paume sur la nuque de l'Oméga et l'attira vers lui. Front contre front, à nouveau. Souffle contre souffle. Les yeux dans les yeux, ils se piquèrent la cuisse en même temps, bien certains de ne pas vouloir faire d'enfant.

Markus réunit les deux stylos vides dans une main et les jeta loin d'eux, à travers les barreaux.

— Maintenant.

— Maintenant ?

— Maintenant tu peux me baiser.

— Je vais commencer par t'embrasser. Tant que j'arrive encore à aligner deux pensées.

— Oui. Bonne idée. Je me demandais quand tu y viendrais.

— À t'embrasser ?

— Oui.

— Maintenant.

Markus sourit. Markus enroule ses bras autour du cou de son Alpha et penche la tête vers lui. Jasper arque son cou. Leurs lèvres se heurtent. S'entrechoquent. D'abord c'est doux, et lent, et savoureux. Puis les lèvres s'entrouvrent, les souffles se mêlent, les langues s'en mêlent. Les dents se heurtent. Les yeux se voilent. Un grondement sourd monte d'un ventre, d'une gorge, mais il est impossible de deviner à qui il appartient. Les hormones ont gagné. L'un est en rut, l'autre en chaleurs. Ils vont passer encore plusieurs journées enfermés.


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