Chapitre 7

11 1 0
                                    

Deborah

Le lendemain à la même heure j'étais avachie dans le canapé beigeâtre du salon de mon enfance, essayant tant bien que mal de digérer le repas gargantuesque que ma mère nous avait fait engloutir de force. J'observais mes sœurs, tout aussi alanguies que moi. Les vapeurs provenant de la cuisine, et qui m'avaient mis l'eau à la bouche quelques heures plus tôt, me donnaient désormais la nausée. Je me levai péniblement en grognant.

– Je vais me coucher, marmonnai-je à l'adresse de mes sœurs.

Elles ne prirent pas la peine de répondre, tout à leur digestion. Lorsque j'étais rentrée à la maison le matin même, elles s'étaient ruées sur moi, toutes les quatre en même temps, si bien que j'avais eu l'impression de m'être faite charger par un troupeau de gazelles enragées.

J'étais l'aînée de la fratrie. Après moi étaient nées les jumelles, Meredith et Virginia qui avaient aujourd'hui 18 ans, Eleanor était arrivée quatre ans plus tard, et enfin Hannah était la petite dernière, du haut de ses 12 ans.

Cette avalanche de filles expliquait pourquoi ma mère avait été tout aussi inquiète que soulagée lorsque j'avais quitté le nid pour aller à la fac. L'année prochaine ce serait le tour des jumelles et elle commençait déjà à angoisser.

Avant de monter les escaliers en direction de ma petite chambre, je fis un crochet par la cuisine pour embrasser ma mère. J'étais déjà en pyjama depuis longtemps. Tradition familiale oblige, le dîner de Thanksgiving ne commençait qu'une fois tous les membres de la famille douchés et en pyjama. Je n'avais jamais vraiment compris pourquoi.

Ma mère se tenait face à l'évier, sûrement en train de tout briquer de fond en comble, ou de refaire la vaisselle pour la troisième fois consécutive. Elle était sérieusement maniaque, c'en était presque maladif. Son tablier blanc, qui n'était plus vraiment blanc, enserrait sa taille généreuse au-dessus de son propre pyjama.

– Maman ? l'appelai-je.

Elle jeta un regard par-dessus son épaule, sûrement pour identifier laquelle de ses cinq filles s'adressait à elle, avant de ramener son regard sur l'évier. Elle était bien en train de faire la vaisselle. Encore une fois.

– Qu'est-ce que tu veux, chérie ? me demanda-t-elle d'une voix douce.

– Tu n'as pas déjà fait la vaisselle genre... deux fois ce soir ? Sans compter que je l'avais déjà faite une première fois avec Eleanor.

J'avançai de quelques pas dans la petite cuisine et m'appuyai contre l'ilot central qui nous servait aussi de table à manger pour le petit déjeuner.

– Je ne l'ai faite qu'une fois, celle-ci c'est la deuxième, me répondit-elle. Quant à tes sœurs et toi, je ne sais pas ce que j'ai raté dans votre éducation pour que vous soyez toutes plus incapables les unes que les autres en matière de tâches ménagères.

J'étouffai mon gloussement derrière ma main pour m'épargner les remontrances maternelles. La vérité c'était que mes sœurs et moi étions tout à fait capables de faire la vaisselle, mais ma mère aimait s'isoler dans la cuisine, quitte à refaire encore et encore les mêmes corvées. Je la comprenais. J'étais moi-même d'un tempérament plutôt solitaire et vivre en permanence entourée de cinq autres nanas, ce n'était pas facile tous les jours.

– Je me demandais... repris-je. Pourquoi est-ce qu'on a toujours fêté Thanksgiving en pyjama ?

Elle lâcha l'assiette qu'elle était en train de nettoyer, coupa l'eau du robinet et s'essuya les mains dans son torchon avant de se tourner vers moi. Son visage était rougi par l'effort. Ma mère était mon exact opposé, j'étais le portrait de mon père. Elle avait des formes généreuses là où j'étais droite comme un i, le teint coloré quand moi j'étais d'une pâleur cadavérique, ses cheveux étaient blond miel et lui arrivaient aux épaules, les miens étaient noirs aile de corbeau et cascadaient jusqu'au milieu de mon dos. La seule chose que nous avions en commun, c'était nos yeux, plus verts que la mousse qui pousse sur les arbres au printemps.

Brand New Dawn - LouderOù les histoires vivent. Découvrez maintenant